Auteur de romans, de pièces de théâtre et d’articles de journaux, il manquait à Boris de faire connaître ses chansons qu’il composait secrètement depuis quelques années. Son premier essai de parolier, Le Déserteur fut interprété par le jeune Marcel Mouloudji, et enregistrée le 7 mai, jour même de la chute de Diên Biên Phu. Le texte antimilitariste en diable provoqua un gros scandale… La chanson fut immédiatement interdite de diffusion à la radio et de mise en vente.
Michel de Ré, petit-fils du Général Galliéni et néanmoins antimilitariste notoire, directeur du petit théâtre d’avant-garde du Quartier-Latin, ne manqua pas de demander à Boris d’écrire les chansons de son nouveau spectacle : La Bande à Bonnot. Nouvel esclandre… Le critique André-Paul Antoine évoqua sa « … nausée. À la fois pour le travail du petit Vian et pour ce qu’il représente d’insane et d’effronté ».
Cette agressivité intrigue Jacques Canetti, directeur du nouveau cabaret Les Trois baudets. Ce dernier cherche à rencontrer Boris et le persuade de chanter lui même ses chansons sur scène. Après bien des hésitations, Boris se laisse convaincre. Le 4 janvier 1955 il débute sa carrière de chanteur et la poursuivra le 28 du même mois à la Fontaine des Quatre Saisons, cabaret que dirige par Pierre Prévert. Les premiers contacts avec la scène sont difficiles. Le public ne reconnaît pas le joyeux luron de Saint-Germain-des-Prés en la personne de cet artiste mal à l’aise et mort de trac : « La scène m’a flanqué le trac pour la vie et m’a bousillé le système nerveux ». Il ne faudra pourtant que quelques jours pour que l’aplomb revienne et que le personnage insolent cherche à imposer ses chansons à l’humeur décapante telle La Java des Bombes atomiques. Mais le courant ne passera vraiment jamais avec les spectateurs qui détestent se faire agresser et qui dans ce cas n’hésitent pas à huer l’interprète. Il est pourtant un jeune garçon qui n’oubliera jamais l’impression produite par Boris Vian, il s’appelait Serge Gainsbourg et prétendit : « avoir pris la relève ».

Boris Vian pendant son tour de chant
(photo X)
Collection A.R.T.
Boris est engagé pour une tournée d’été de plusieurs mois dans les villes d’eaux. Un vrai calvaire… Chaque soir des manifestants sifflent la chanson du Déserteur. Ce sont pour la plupart des groupes de paramilitaires qui le poing levé menace le « Bolchevik ». Il arrive que Boris ne puisse pas arriver à chanter jusqu’au bout sa chanson et doive quitter la scène sous les huées. Pour tenir, il se bourre de cachets et tente d’oublier les conseils du médecin qui lui a prescrit le repos .
De retour à Paris, Boris est épuisé mais reprend toutefois son tour de chant aux Trois Baudets.
Quelques mois avant cette malheureuse tournée, Vian s’était attaché à ces petites salles que sont les cabarets-théâtres et composait des scènettes à leurs intentions. Ce sera en mars 1955 : Dernière heure, spectacle de science-fiction, mis en scène par Michel de Ré à la Rose Rouge et en novembre, à L’Amiral, le cabaret des Champs-Élysées : Ça c’est un Monde.
Fin mars 1956, Boris renonce à la scène. Il est très fatigué. En Juillet, il est atteint d’une grave crise d’œdème pulmonaire. Il doit se ménager. Une occasion se présente à lui d’entrer dans la firme Philips comme directeur artistique adjoint au service des Variétés. Il se passionne pour ce nouveau travail, tout en continuant à écrire des textes de chansons
En outre un magnifique projet va enfin se réaliser. Depuis la création au festival de Caen du Chevalier de Neige , Marcel Lamy, directeur du Grand Théâtre de Nancy envisage de reprendre le sujet à l’intention d’un livret d’opéra dont l’auteur serait Boris Vian et le compositeur Georges Delerue. Il fallut plus de trois ans et demi de travail aux deux artistes pour mettre au point leur œuvre. Le 31 janvier 1957, sous la présidence de Jacques Jaujard, directeur des Arts et Lettres, du Préfet de Meurthe et Moselle et du Sénateur Maire de Nancy, Le Chevalier de Neige, version lyrique, annoncé dans la presse comme « une création mondiale » remporte un triomphe magistral. Le lendemain de la première représentation, l’ensemble des journaux rivalisent en titres élogieux : « Éclatante consécration », « Une production d’opéra qui éclipse les mises en scène parisiennes », « Le livret de Boris Vian est exceptionnel et la partition de Georges Delerue attachante ». L’heure de gloire avait sonné pour Boris qui ne rêvait plus qu’Opéra. Néanmoins, il entreprend l’écriture d'une nouvelle pièce de théâtre : Les Bâtisseurs d’Empire.

Les Bâtisseurs d'empire
Décor d'André Acquart
Théâtre Récamier - 1960
Maquette originale
Collection A.R.T.
En septembre 1958, une nouvelle crise d’œdème l’oblige au repos total pour quelques semaines. Ursula décide d’abandonner son métier de danseuse et de rester constamment auprès de son époux fragile. Les amis de Boris évitent de lui parler de sa santé, mais tout son entourage le sait dorénavant très souffrant.
Le 3 octobre, Boris est heureux de pouvoir oublier pour un temps sa maladie et d’assister à Berlin à la première représentation de l’opéra de Darius Milhaud Fiesta dont il a écrit le livret. C’est un beau succès. Boris reprend espoir, il devient directeur de la firme Fontana, annexe de la Société Philips et accepte de collaborer au Canard enchaîné. Par ses articles, il défend Brassens, Serge Gainsbourg, Henri Salvador… Contacté par le directeur du Théâtre de l’Œuvre, il accepte de travailler à l’adaptation de la premier ouvrage de l’auteur irlandais Brendan Behan : Le Client du matin. C’est une pièce sans histoire relatant la vie d’un groupe de prisonniers à la veille de l’ exécution de l’un d’eux. La presse est élogieuse : « Cette belle, courageuse et passionnante pièce, très bien traduite par M. Boris Vian et Mme Jacqueline Sundstrom bénéficie d’une excellente mise en scène de M. Georges Wilson. Ce n’est pas un spectacle pour petites filles et personnes pâles. Mais c’est un beau et cruel spectacle ».
Arts André-Paul Antoine 5 janvier 1955
En avant la zizique Boris Vian 1958
Carrefour Morvan Lebesque 22 avril 1959