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Balzac

Tricard au Théâtre, Vedette à l'écran

par Jacques Crépineau

Jacques Crépineau

( Directeur du Théâtre de la Michodière de 1981 à 2015et historien du Théâtre, cet ancien journaliste depuis 1952, devient, à partir de 1958, le Secrétaire général des plus importants théâtres parisiens. Il anime de nombreuses émissions de radio dont les célèbres Cinglés du Music hall. Il est l’auteur d’articles et de livres qui font référence, parmi lesquels : Grandes heures du Théâtre à Paris (Perrin -1964) Moulin Rouge (1989) Folies-Bergère (1990 Prix du Boulevard), et plus récemment Mistinguett. Il collabore régulièrement à la revue d’Art Happy Few et est l’un des plus célèbres collectionneurs en matière de spectacle. Il est membre de l'A.R.T. et fait partie du jury depuis 1981. ( voir rubrique donateurs )

On n'en finit pas d'être étonné par Balzac autant que par Shakespeare. C'est le grand Kleber Haedens qui l'a parfaitement expliqué tant la richesse de leur monde est infinie. Pour l'auteur d'HamIet il interroge : « Où a-t-il connu tous ces personnages, ces rois et ces princes, ces amoureux, ces jaloux, ces ivrognes, ces femmes sauvages et douces, ces commères, ces esprits ailés, ces bretteurs et ces assassins ? » De même, Balzac n'a jamais connu ses héros. Ils sont tout droit sortis de son imagination et c'est pour cela qu'il en est le maître absolu. Tous leurs actes, toutes leurs pensées lui sont personnels. Il n'est ficelé par aucun lien envers eux. C'est cette franche liberté qui permet à Balzac d'affirmer : « Mes romans bourgeois sont plus tragiques que vos tragédies ». Rastignac au Père-Lachaise est une réincarnation du prince du Danemark dans sa provocation...

Toujours à cours d'argent, dans l'esprit spéculateur qui était le sien, Balzac avait été fasciné très jeune par le théâtre ou plutôt par les fortes sommes que pouvaient procurer des succès dramatiques. Dès l'âge de vingt ans Balzac s'essaya à la comédie avec Les Deux philosophes ; à la tragédie avec Sylla ; à l'opéra-comique avec Le Corsaire. Il n'en vit jamais la fin. En revanche, longtemps avant Victor Hugo il termina un Cromwell en cinq actes et en vers. La lecture du manuscrit à ses proches fut si catastrophique qu'il préféra devenir Horace de Saint-Aubin et écrire des romans... Malgré l'avis d'un ami de la famille, consulté, l'inconnu académicien Andrieux : « L'auteur doit faire quoi que ce soit, sauf de la littérature ». Malgré tout, en 1822, il porta au théâtre de la Gaîté, un manuscrit, Le Nègre fermement et définitivement refusé ; ce qui ne le découragea pas d'entreprendre une nouvelle tragédie Catilina. Sans suite. Jusqu'en 1839, année qui fut celle du refus par le Théâtre de la Renaissance de son École des ménages au bénéfice d'une pièce de Dumas père, L'Alchimiste. Longtemps il en voulut à Dumas, comme en témoigne leur dialogue au sortir de la générale de Mademoiselle de Belle-lsie : « Quand je serai usé, je ferai du théâtre.» dit Balzac. « Alors commencez tout de suite, cher ami. » rétorqua Dumas.

Il convient de remarquer un fait souvent négligé : de 1800 à 1830, pendant trente années, l'autre géant de l'époque, Stendhal, s'est essayé à écrire pour le Théâtre. En vain. Nous connaissons maintenant de nombreux essais restés à l'état d'ébauche de pièces. Lui aussi est géant ailleurs que sur la scène.

Très tôt, Balzac vit ses romans adaptés à la scène : dès 1831, le théâtre des Nouveautés créait Les Chouans adapté par Anicet Bourgeois et F. Cornu. Cette version marqua si peu l'histoire du théâtre, qu'à la fin du siècle une nouvelle mouture scénique sembla avoir plus de succès, puisqu'elle connut plus de 100 représentations, chiffre énorme à l'époque, au Théâtre de l'Ambigu avant de faire la fortune des salles périphériques avec un obscur pensionnaire de la Comédie Française « en représentation » Philippe Garnier. Cette version était de Emile Blavet et Pierre Berton, qui avaient fait préciser sur toutes annonces et programmes : « Drame d'Honoré de Balzac qui n'était pas de l'Académie Française.» La Vieille Dame du quai Conti avait-elle déjà si mauvaise réputation ?...

C'est seulement après la dernière guerre que Henri Calef, secondé par Charles Spaak, servit le premier roman signé Balzac, et encore imparfaitement, car le scénario était inabouti ! Mais quels comédiens le servaient : Jean Marais, Madeleine Robinson, Marcel Herrand, Pierre Dux, Louis Seigner...

En revanche Le Colonel Chabert, adapté en vaudeville en deux actes, en 1832, par Jacques Arago et Louis Lurine, tenait encore l'affiche au Théâtre du Trocadéro jusqu'à la fin du siècle... Malgré le succès de Louis Jouvet dans le rôle titre en janvier 1910 à l'Athénée St-Germain (futur Vieux-Colombier) dans une adaptation en trois actes de Louis Jouvet. Le Colonel Chabert connut enfin une gloire indiscutable à l'écran, adapté par Pierre Benoît, puis par Jean Cosmos pour deux chefs d'oeuvre cinématographiques : le premier avec un acteur de génie : Raimu ; le second avec un autre comédien tout aussi génial et exceptionnel : Gérard Depardieu. Les deux entourés par des comédiens non moins remarquables.

Bois gravés de Maximilien Vox

En 1834, La Duchesse de Langeais devenait une espèce de comédie musicale grâce à Comberousse et Ancelot. L'année suivante, ce dernier et Paul Duport adaptaient Le Père Goriot. Le Gymnase donnait en 1837 La Recherche de l'absolu par Bayard et Bieville, tandis que César Birotteau était transformé en vaudeville par Eugène Cormont en 1838 ! Quant au malheureux Médecin de campagne, la même année, il fut aux prises avec deux équipes de « collaborateurs » Melesville-Duveyrier d'une part, Théaulon-Courcy-Muret d'autre part ! Et ce ne sont là que les spectacles dont on a le plus parlé. Il fallut la rigueur dramatique d'Emile Fabre avec La Rabouilleuse en 1903 et César Birotteau, parfumeur, en 1910 créés par Firmin Gémier pour que les romans de Balzac soient dignement adaptés au théâtre. On verra bientôt la rocambolesque histoire de Vautrin...

Il était donc normal que Balzac se convainquit de faire aussi bien que des collaborateurs si peu souhaités. Jamais, il ne se posa la question de savoir si ses qualités exceptionnelles de romancier pourraient s'accommoder des règles strictes, si différentes et nécessaires au métier d'auteur dramatique. Il pensait pouvoir produire une dizaine de pièces par an qui lui apporteraient la fortune. L'apport d'un « nègre » lui semblait indispensable, car ce qu'il considérait comme son vrai métier était celui de romancier. Et Balzac, moyennant le vivre et le couvert, engagea Charles Lasailly pour lui fournir des sujets de pièces, des ébauches, des épures... Au bout de quelques semaines du régime éreintant que Balzac imposait à son associé, celui-ci abandonna le romancier et la pièce en cours L'École des ménages. Lasailly sentait sa raison vaciller ; il est d'ailleurs mort fou peu après !... Jules Sandeau, après que George Sand se fut séparée de lui, tenta de travailler avec Balzac quelques mois. En vain.

Henri Monnier avait coupé tout net les idées de son ami avec l'humour à froid qui était le sien : Balzac lui proposait de réaliser ensemble une pièce qui devait leur rapporter au bas mot quatorze millions ! Le créateur de Joseph Prudhomme, loin de le décourager lui demanda seulement : « Avancez-moi cent sous sur l'affaire » ce qui eut pour effet immédiat de ramener Balzac à la réalité !Honoré de Balzac

... Et ce fut, la folle histoire de Vautrin qui ne manqua pas de réjouir ses contemporains sur le Boulevard.

La mauvaise foi de ses collaborateurs, leur manque de compréhension envers lui, leur peu d'empressement au travail avaient mis Balzac hors de lui et l'avaient décidé à agir seul et vite. Harel, directeur de la Porte Saint-Martin, était dans une très mauvaise passe financière. Balzac alla le trouver pour lui proposer une pièce qui le tirerait de ses ennuis financiers et lui fit promettre d'engager Frederick Lemaître. Harel pensait qu'une première pièce de Balzac attirerait les foules dans son théâtre. Il ne restait qu'à écrire la pièce. Balzac convoqua quelques amis pour leur répartir la tâche et leur tint ce propos : « Voici comment j'ai arrangé la chose. Vous (Théophile Gautier) ferez un acte, Ourliac un autre, Laurent Jan le troisième, de Belloy le quatrième, moi le cinquième, et je lirai le tout à midi comme convenu. Un acte de drame n'a pas plus de quatre à cinq cents lignes ; on peut faire cinq cents lignes de dialogues dans sa journée et dans sa nuit ».

Seul Laurent Jan collabora effectivement à ce Vautrin et la pièce lui est dédiée vraisemblablement il fournit à Balzac un premier jet que celui-ci réécrivit de bout en bout, d'où son amertume : Balzac a commencé par me dire, en parlant denVautrin, votre pièce puis, peu à peu, notre pièce et enfin... ma pièce ». La pièce fut créée le 14 mars 1840 et interdite des le lendemain : Frédérick Lemaître s'était fait une ridicule tête-de-Louis Philippe, d'où offense au Roi. Rien ne fit lever la décision du Ministre de la Police, Rémusat. Jules Janin eut cependant le temps d'écrire : « Une œuvre de désolation, de barbarie et d'ineptie, où tout manque, l'esprit, le style le langage, la politesse, l'invention, le sens commun-.» Et Balzac lui-même confirmait que ce serait « toujours une méchante pièce ». Elle fut reprise souvent et ne connut jamais le succès malgré la popularité du personnage de Vautrin inspiré de Vidocq. Harel fit faillite ; Balzac ne fit pas fortune et la Porte Saint-Martin provisoirement ferma ses portes !

Dumas et Hugo intervinrent près le Ministre en faveur de Balzac. Mais celui-ci refusa fièrement et écrivit à Mme Hanska qu'il était un homme perdu : « Je crois que je quitterai la France, et que j'irai porter mes os au Brésil, dans une entreprise folle, et que je choisis à cause de sa folie ». On ne sut jamais la teneur de cette entreprise...

Vautrin attendit longtemps sa réhabilitation, et encore après de nombreux dé­tours. En 1922 un auteur de second ordre, mais habile adaptateur s'avisa de réunir les principaux personnages de Balzac tirés du Père Goriot, des Illusions perdues et de Splendeur et misère des courtisanes. Peine perdue ! L'entreprise titanesque dépassa tout le monde : adaptateurs, interprètes (de Feraudy, Pierre Fresnay, Dussane, toute la troupe de la Comédie Française !) et fit long feu. Un deuxième mauvais sort s'acharnait sur Vautrin. Il fallut attendre que le talentueux réalisateur de cinéma Pierre Billon, commanda à Pierre Benoît une nouvelle mouture du monde balzacien pour que Vautrin enfin une place prépondérante grâce au génie de Michel Simon qui demeure mémorable dans le film éponyme.

Bien qu'il fut très absorbé par un projet d'ouvrir une laiterie et de planter un vignoble (toujours des affaires !). l'échec de Vautrin consterna Balzac. Aussi remit-il sur le chantier un drame, populaire dont il avait, eu l'idée en 1830 : Richard cœur d'éponge et Lemaître lui promit sa collaboration ce dont le célèbre acteur ne se privait jamais, même souvent à l'encontre de ses auteurs.

Le drame fut achevé en mai 1840 et confié au grand Frederick qui ne sut par quel bout le prendre pour le rendre jouable. À la demande de Balzac, il remit le manuscrit à l'éditeur Paulin pour servir de cautionnement à un prêt que l'auteur voulait obtenir... Huit ans plus tard, Balzac essaya de récupérer son manuscrit. Certainement en vain, car on ne le retrouva jamais depuis et personne ne connut Richard cœur d'éponge.

Le 19 mars 1842, Balzac donna à l'Odéon Les Ressources de Quinola. Dans une lettre à Mme Hanska, l'auteur nous livre son sujet : « ... le singulier fait de l'inventeur
qui fit manœuvrer à Barcelone, au XVIe siècle un vaisseau par la vapeur, et qui le coula devant trois cent mille spectateurs sans qu'on sache ce qu'il est devenu, ni le pourquoi de cette rage. Mais j'ai deviné le pourquoi et c'est ma comédie ». Misant sur un triomphe, Balzac avait eu la malencontreuse idée d'affermer la location des trois premières représentations dans un but spéculatif. La pièce fut accueillie par des. quolibets variés et des pommes cuites. Tout Paris se moqua de notre auteur, seul Henri Heine prit sa défense... Ce qui n'empêcha pas Balzac de préciser à sa maîtresse bien-aimée « Quinola a été l'objet d'une bataille mémorable, semblable à celle d'Hernani ». Dont acte !

Près de dix-huit mois s'écoulèrent avant que Balzac fit jouer une nouvelle pièce le 26 septembre 1843 à la Gaîté : Paméla Giraud. Après que Balzac eu fourni un premier jet, la pièce avait été refaite par Bayard et Jaime et il s'en fut à Saint-Pétersbourg rejoindre, Mme Hanska, si bien qu'il n'assista ni au montage ni à la chute de cette comédie larmoyante. Cet échec eut au moins le mérite de faire prendre conscience à Balzac que le théâtre était quelque chose de sérieux et: qu'il devait l'affronter seul, en professionnel. Et après cinq années de réflexion et de travail intensif le Théâtre Historique présentait le 25 mai 1848 La Marâtre, drame familial montrant des personnages humains, vrais, profond.

Ce fut un succès, le premier, claironné par la fidèle amitié de Gautier dans son feuilleton. La tourmente créée cette année-là par la révolution faisait sentir ses effets sur les recettes des théâtres. La Marâtre ne connut pas le succès commercial que tous étaient en droit d'espérer. La pièce sera reprise au Vaudeville de la place de la Bourse en 1859 et ce sera le dernier spectacle de Charles Dullin au Théâtre des Célestins à Lyon en octobre 1949 avant de disparaître. Le projet de Dullin était de la reprendre aussitôt à Paris. Le destin ne l'a pas voulu.

Auparavant, Balzac avait entreprit Mercadet destiné tout comme Richard à Frédérick Lemaître à qui il écrivait que son rôle serait « un nouveau Robert Macaire, un composé de Vautrin, de Tartuffe, de tout ce que vous voudrez mais qui sera toujours la personnification de ce qui se passe autour de nous ». C'est le succès d'estime réservé à La Marâtre qui fit reprendre à Balzac son manuscrit inachevé de Mercadet qu'il nommait encore Le Spéculateur ou Le Commerce.

Frederick Lemaître offrit Mercadet a la Comédie Française, peut-être de la part de Balzac, en tout cas espérant négocier son entrée dans la Maison de Molière à la faveur de cette création. Il s'en fallut de peu puisqu'en juin 1840, Cave écrivit au comédien : « Il ne serait pas impossible que l'ouvrage dont vous m'avez parlé fut mis en répétition sans. délai et joué au Théâtre Français ». Mais la pièce n'était pas terminée...

D'après les souvenirs du comédien, Balzac était le plus accommodant des auteurs, taillant .et retaillant comme lui demandait Frederick, scènes et actes entiers sans que jamais son optimisme ne fut surpris, comme en témoigne cette lettre : « Cher Maître, ce soir à dix heures, j'irai vous lire notre nouveau dénouement ; je crois que je suis dans le eaux de Molière jusqu'au cou ! » Le soir, le nouveau dénouement ne collait pas. Balzac partait en déclarant : « Bon, je vais le refaire en rentrant ! » II est vrai que Lemaître avait pris la précaution de lui déclarer auparavant : « C'est bien beau Eugénie Grandet ; c'est aussi fort que Molière » - « C'est peut-être plus fort » répondit Balzac ; « Molière a fait L'Avare, j'ai fait l'Avarice ».

Lé 17 août 1848, Balzac lut sa pièce au Comité de la Comédie Française au cours d'une extravagante soirée où il termina débraillé en bras de chemise... Las ! Lockroy, le premier administrateur de la Maison, fut destitué. Son successeur, Bazenerie, prit peur devant la hardiesse de l'ouvrage et demanda des coupures que Balzac refusa. Devant la mauvaise volonté des Sociétaires - déjà ! - Balzac retira sa pièce. En 1850, des pourparlers étaient engagés avec Hostein, nouvel administrateur, que Balzac ne put mener à leur fin, car il mourut le 18 août.

Et c'est le triomphe posthume de Balzac au Gvmnase le 23 août 1851 avec la création de Le Faiseur, titre définitif de la pièce, mais adapté en trois actes par Adolphe Dennery avec l'accord de Mme Balzac. Toujours un collaborateur ! Le Faiseur entrera au répertoire de la Comédie Française en 1868 (dans son texte original, enfin !) où plusieurs séries de représentations jusqu'en 1918 donneront, à Got et Féraudy, succédant au créateur Geoffroy, de vrais succès d'interprètes. À Paris, Charles Dullin sera Mercadet à l'Atelier en 1935, au Théâtre Sarah Bernhardt en 1945 et Jean Vilar au T.N.P. en 1957. Le mauvais souvenir que ce dernier laissa du rôle fut heureusement gommé par Jean Le Poulain qui atteint y les sommets de son art. Enfin Jean-François Balmer fut un grandiose Mercadet, aussi inquiétant qu'attachant, dans une nouvelle adaptation de J. M. Bernicat. Au printemps dernier, une fois encore la pièce surprit Paris. Armelle Heliof l'a évoqué justement : « ... Emmanuel Demarcy - Mota... tire le drame vers une comédie musicale à couplets. Ici, on chante en chœur et en anglais, on danse. Balzac est à Broadway mais n'a rien perdu de sa férocité et de son ironie ravageuse ».

... Et c'est ainsi que Balzac rejoint Shakespeare !

Toute la puissance créatrice de Balzac est là dans Le Faiseur, ses personnages, solidement campés, un dialogue féroce et drôle et sa verve que Flaubert devait dire « Hénaurme ».

C'est seulement en 1910 pour qu'Antoine, directeur de l'Odéon, assume la création de L'École des ménages qui devait être reprise seulement en 1943 au Théâtre Saint-Georges par Mary Morgan, grâce à Jean Meyer.

« Envoyez-moi une gloire que je n'ai pas connue, celle de faire des recettes » écrivait Balzac à Lockroy en septembre 1848. Cette gloire, la Comédie Française la lui donnera. En 1870, après la guerre, la Comédie en faillite ne fut sauvée que par les recettes mirobolantes que fit Le Faiseur lors de sa tournée à Londres. Mais les plus fabuleuses recettes, Balzac devait les assurer un siècle plus tard grâce aux producteurs de cinéma. Mais alors, personne ne pouvait le prévoir. Outre les films déjà évoqués, pour tant d'autres, Balzac s'est révélé le plus original auteur de scénarii pour l'écran.. Quelle revanche ! Il rejoint là ses contemporains Dumas, Hugo, Ponson du Terrail,Éugêne Sue et fait pâlir leur étoile étoile.

Le génie de scénariste de Balzac éclata pendant la guerre avec des histoires inconnues ou presque choisies dans son œuvre. On à oublie une Cousine Bette, réalisée en muet par Max de Rieux avec Alice Tissot, Germaine Rouer. Naguère une version télévisée a procuré à Alice Sapritch son plus grand succès. Mais aussi injustement Un seul Amour, réalisé et interprété par Pierre Blanchar et Micheline Presle. Le film de la forme la plus classique ne mérite pas cet oubli.. Une autre nouvelle de Balzac servit à André Cayatte de support pour La Fausse Maîtresse, incarnée par une Danielle Darrieux à l'apogée de sa carrière.

La Rabouilleuse, popularisée au théâtre par une suite de grandes comédiennes de Véra Korène, Mary Marquet à Claudine Coster, donna à Susy Prim l'un de ses meilleurs rôles avec Fernand Gravey, André Brunot et Pierre Larquey. C'est Robert Vernay qui donna à ce dernier, pourtant si souvent présent à l'écran « Le rôle » dans Le Père Goriot qu'il immortalisa à jamais dans une production remarquable pour l'époque.

Mais une autre version de La Rabouilleuse due à Louis Daquin, pourtant assisté par Philippe Hériat, ne retrouva pas le ton balzacien malgré la fulgurante création de Madeleine Robinson avec Jean-Claude Pascal.

On peut regretter que Jacques de Baroncelli rata la rencontre au sommet : Balzac adapté par Jean Giraudoux pour La Duchesse de Langeais. Pourtant sublime, le film fut boudé malgré la présence du couple mythique : Edwige Feuillère et Pierre-Richard Wilm. Un peu sophistiqué ou trop littéraire ?

Mais je veux terminer par une pirouette généralement ignorée des balzaciens fervents. Dans la saison 1919-1920, le Théâtre Edouard VII présenta, sans succès, malgré une éclatante distribution Le Loup dans la bergerie d'après un Conte Drolatique de Balzac Frères d'armes par Georges Manoir et Verhyll. On en entendit plus jamais parler après cet échec cuisant...

... 1942, deux jeunes comédiens, Gil Roland et Pierre Jourdan, avaient ouvert le Théâtre Monceau dans le quartier éponyme. Quartier et théâtre également déserts, quand un soir, le célèbre et redouté critique du Petit Parisien, Alain Laubreaux fut surpris par une alerte aérienne dans le quartier. L'immeuble du Théâtre Monceau bénéficiait du statut privilégié, alors, d'abri antiaérien. Laubreaux s'y précipita et découvrit là, la pièce qu'on jouait devant un public clairsemé : Monsieur de Falindor de Georges Manoir et Armand Verhyll. Si celui-ci avait trouvé un prénom, Balzac avait complètement disparu de l'affiche et publicités. Or, ce Monsieur de Falindor n'était autre que Le Loup dans la bergerie, héros principal qui avait substitué son nom au titre initial. Et Laubreaux s'amusa !

Monsieur de Falindor d'après Balzac

Le lendemain tout Paris lisait sa critique dans Le Parisien et se précipita au Théâtre Monceau pendant plus de 2.000 représentations ! Bien qu'il ne fut plus à l'affiche, c'est quand même Balzac qu'on applaudissait.

Amen.

Jacques Crépineau
Avec l'aimable autorisation de Monsieur Guy Couloubrier, revue Happy Few

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