Cette « Utilité de la conservation des mises en scène écrites », des mises en scène
accompagnées bien entendu du texte complet de la pièce, bien qu'elle nous paraisse évidente rien qu'à son énoncé, nous l'envisagerons
successivement au triple point de vue :
1° De la Culture en général.
2° De la Technique théâtrale.
3° Des intérêts pratiques des artisans du Spectacle.
Mais d'abord, posons la question : Qu'est-ce exactement qu'une « mise en scène » ?
Le Littré nous répond : « Mettre un ouvrage en scène, c'est régler la manière dont les acteurs doivent le
représenter ». Cette réponse a évidemment le mérite d'être simple et claire, mais cette explication nous paraît néanmoins trop
simpliste, et n'exprimer que très imparfaitement ce qu'est une mise en scène véritable. Et nous compléterons la définition en disant
plutôt que c'est, sous la baguette plus ou moins prestigieuse du metteur en scène, l'orchestration pertinente de tous les moyens mis
en œuvre pour transformer une pièce simplement écrite en un... « spectacle ». C'est-à-dire en une œuvre collective vivante, qui, aux
lumières de la rampe, se développera chaque soir suivant un agencement précis, à la fois dans le temps et dans l'espace. Car, si
tout, bien entendu, doit être d'abord contenu en puissance dans le texte écrit, le texte écrit ne peut s'adresser, par le seul moyen
de la lecture, qu'à l'esprit du lecteur.
Il appartient au metteur en scène, qu'il conviendrait beaucoup mieux à notre avis d'appeler à ce moment là «
Animateur » de faire sortir de ce texte écrit le... « Spectacle » qui lui, doit s'adresser non seulement à l'esprit, mais aussi au
cœur du spectateur, en atteignant directement sa sensibilité, par lé moyen de tout ce qui peut, avec efficacité, parler à ses sens.
Les moyens dont dispose le metteur en scène, et qui lui sont, toute proportion gardée, ce qu'est la palette pour le
peintre, nous les connaissons tous; ce sont les décors, les couleurs, les jeux de lumière, les éclairages d'ambiance, les bruits, le
cas échéant la musique ou le silence, et, en fin de compte, essentiellement, les places, les mouvements assignés aux acteurs sur le
théâtre. Nous y ajouterons la juste extériorisation, par le jeu personnel des interprètes, des passions ou des sentiments qu'ils ont à
exprimer.
Nous voyons donc déjà se préciser toute l'importance, et tout l'intérêt, que prendra le « relevé fidèle » de ce
travail complexe, si l'on pense que ce relevé, judicieusement conservé en des archives spécialement conçues à cette intention, pourra
servir, au cas de la reprise d'une pièce, à retrouver tous les éléments, qui permettront au nouveau metteur en scène ou régisseur, de
remonter le spectacle. De le remonter, soit de manière absolument conforme à ce qui fut établi lors de la création, soit modifié
suivant son propre tempérament, mais en partant quand même des bases initiales qui lui sont ainsi fournies.
La mise en scène, établie non seulement en fonction de la plus exacte expression de l'œuvre à représenter, mais
aussi surtout en fonction, et à l'intention du public qui viendra la voir et l'écouter, peut ainsi constituer un véritable
témoignage, sur l'esprit, les mœurs, les coutumes, la sensibilité, en un mot, les habitudes de penser d'une époque révolue.
Aussi loin que nous puissions remonter dans l'histoire du Spectacle, nous trouvons l'existence du principe de la
mise en scène, accompagnée de son metteur en œuvre : le régisseur ou le meneur de jeu.
Puisque, déjà, dans la Grèce antique, si l'on en croit l'Encyclopédie Pauly-Wissova, le terme de « Didaskolos »
désignait le préposé à l'enseignement et à la direction du chœur.
Dans les pays latins, le dominus gregis était l'entrepreneur de spectacles. Entrepreneur qui avait à sa charge non
seulement l'exploitation financière, mais également, et surtout peut-être, l'organisation complète du spectacle, mise en scène
comprise.
Gustave Cohen, dont les recherches s'étendent du Xème au XVIème siècle, nous indique, à propos des Mystères du XVème
siècle, l'existence, déjà, d'un « Livre de la conduite du régisseur ». Le Mystère de la Passion, joué à Mons en 1501, nous a laissé la
trace, non seulement d'un « Compte des dépenses » mais également d'une véritable mise en scène écrite.
Dans le manuscrit du Mystère de Lucerne, en 1583, on trouve des croquis accompagnant le texte, ainsi qu'une notation
précise de l'emplacement des personnages. Notation qui est déjà une préfiguration de nos relevés modernes de mises en scène.
Un fragment de la Résurrection, au XIIème siècle — pièce qui annonce déjà les mystères du XVème — nomme, dans un
curieux prologue « 13 lieux et maisons ». « L'Enfer » à un bout du théâtre que nous désignerions aujourd'hui par « le côté cour », «
Le Ciel » à l'autre bout, que nous désignerions aujourd'hui par le « côté jardin ». C'est à travers ces 13 lieux et maisons que se
promenait l'action.
Dans le Jeu d'Adam, également au XIIème siècle, des indications précises de mise en scène sont déjà notées, dans
l'intention évidente, non seulement de servir à monter le spectacle original, mais aussi de pouvoir fournir, dans l'avenir, toutes
les indications indispensables en cas de reprises éventuelles.
Je cite :
"Qu'on établisse le paradis dans un lieu plus élevé. Qu'on dispose à l'entour, des tentures et
des draperies de soie, à telle hauteur que les personnes qui seront dans le paradis, puissent être vues par le haut à partir des
épaules, etc., etc..."
Voici pour le décor. Voici maintenant pour l'emplacement des personnages :
"Que le Sauveur arrive, vêtu d'une dalmatique. Devant lui, se placeront Adam et Eve. Adam, vêtu
d'une tunique rouge. Eve d'un vêtement de femme blanc, etc., etc."
Et voici pour finir, de véritables indications de jeu, nous pouvons même dire de « diction » :
"Adam sera le plus rapproché; le visage au repos. Eve un peu plus bas. Qu'Adam soit bien instruit
quand il devra répondre, pour qu'il ne soit pas trop prompt, ou trop lent à le faire. Que tous les personnages soient instruits à
parler posément et à faire les gestes convenables pour les choses qu'ils disent; qu'ils n'ajoutent ni ne retranchent aucune syllable
dans la mesure des vers, mais que tous prononcent d'une façon ferme, et qu'on dise dans l'ordre tout ce qui est à dire."
On remarquera en passant que les auteurs de ce temps n'étaient pas moins pointilleux que ceux de nos jours sur tout
ce qui intéressait l'intégralité de leur texte.
Toutes ces recommandations sont incontestablement le fait d'un metteur en scène déjà très averti des choses du
théâtre, et des nécessités de son Art. C'est un trouvère d'Arras, Adam le Bossu dit de la Halle, qui fit jouer au XIIIe siècle — et
l'une à Arras même — ces deux pièces remarquables que sont Le Jeu de Robin et Marion et Le Jeu de la Feuillée.
À ce propos, il nous paraît intéressant de remarquer, puisque Arras nous fait le plaisir et l'honneur de nous
convier aujourd'hui à ces Entretiens d'Arras dont l'énoncé même n'est pas sans fleurer assez curieusement d'ailleurs l'atmosphère du
Moyen Age, qu'Arras reste à notre connaissance la ville qui, la première, accueillit le drame religieux et lui donna, avec Jean Bodel,
dans Le Jeu de Saint-Nicolas surtout — où le côté profane du genre dramatique s'accentue nettement —, lui donna, dis-je, le
caractère non plus d'un drame religieux, mais bien d'un divertissement, divertissement certes encore dévot, mais aussi déjà laïque.
L'imagination éveillée des poètes Picards, où peut-être la seule fantaisie originale d'Adam le Bossu dit Adam de la
Halle, saisit-elle la variété et la puissance des effets qui étaient contenus dans la forme de ces jeux sacrés ? Toujours est-il
qu'appliquée au vieux thème des Pastourelles, elle donna Le Jeu de Robin et Marion, le premier de nos Opéras Comiques,
puisque de son origine lyrique le sujet a gardé la musique. Appliquée à un autre thème : le thème satirique et badin, elle donna Le
Jeu de la Feuillée.
Et nous pensons que c'est grand dommage que n'aient pu parvenir jusqu'à nous les relations écrites complètes des
mises en scène de ces jeux et de ces mystères ! De ces véritables féeries qui ne négligeaient rien pour parler aux yeux et aux sens
d'un public nombreux, qui se pressait en foule à ces spectacles. De ces féeries qui n'hésitaient pas à faire apparaître Dieu entouré
de rayons d'or, d'anges, et de séraphins; qui représentaient l'Enfer par une large gueule de Dragon, toute béante, d'où les démons
effroyables et grotesques sortaient en se bousculant, hurlant, gesticulant, accompagnés dans leurs ébats par des bruits de tonnerre,
quand ce n'était pas même par celui du canon !
Quelle débordante imagination, dépensée par ces artistes, pour l'invention des trucs et des machines : diables
sortant par les trappes, vols d'anges, bêtes mécaniques, mannequins habilement substitués aux acteurs pour les scènes de tortures,
etc., etc.
On est vraiment pris d'un regret profond à la pensée que, tout cet Art, qui témoignait sans doute si exactement de la
mentalité des temps, n'a laissé que de très rares traces, et que seule notre imagination, à la lecture des textes sauvés de l'oubli,
peut nous en donner aujourd'hui un bien faible aperçu.
Il faut maintenant arriver à 1633 pour trouver, avec L'Impromptu de Versailles, véritable porte ouverte,
par la grâce de Molière, sur l'élaboration d'une mise en scène, le premier et le plus complet Relevé. Car c'est donc L'Impromptu,
sinon de bout en bout une véritable mise en scène faite par Molière lui-même sous les yeux amusés du spectateur ?
Il n'est pas sans intérêt que nous nous reportions en esprit à ces temps, et que nous imaginions ce qu'étaient ces
salles de spectacle, alors vraiment sans aucune commodité. D'abord, on s'y tenait debout au parterre. Comme les vestiaires
n'existaient pas encore, chacun entrait avec son manteau, sa canne, son épée, et avait la faculté d'aller se chauffer aux deux poêles,
généralement placés à droite et à gauche. Tout ce monde demeurait ainsi entassé en vase clos, et chacun, pour tenter de mieux voir ce
qui se passait sur la scène, se haussait tant bien que mal sur la pointe des pieds. Aussi, combien pouvaient s'estimer privilégiés les
marquis, et gens du bel air, qui avaient licence de s'asseoir sur la scène même, de chaque côté du théâtre. Des banquettes étaient
réservées à leur intention, et une double balustrade dorée qui s'enfonçait en profondeur jusqu'aux deux tiers du plateau, les séparait
simplement des acteurs. Ces banquettes arrivaient à réduire la largeur de la scène à environ 5 mètres sur le devant, et à 3 m 50
dans le fond.
On sait que cet usage qui subsista de 1650 à 1759 ne manqua pas, bien entendu, de gêner considérablement les acteurs
dans leurs évolutions et fut un obstacle sérieux au développement de la mise en scène.
Il fallait véritablement que le comédien soit doué d'un talent exceptionnel, pour parvenir quand même à produire
l'illusion théâtrale au milieu de ces gens de qualité, à perruques poudrées, qui ne manquaient pas de parler entre eux, souvent
bruyamment, des potins du jour, s'agitaient, babillaient, ricanaient, allant même jusqu'à critiquer à haute voix les acteurs qui se
produisaient à côté d'eux sur le théâtre.
Il arrivait souvent que l'on confondait l'entrée du spectateur des « banquettes » avec l'entrée d'un véritable
acteur, et Crébillon relate que cet inconvénient motiva même un jour cet alexandrin qui ne manquait pas d'à propos :
"On attendait Pyrrhus, on vit paraître un fat."
Cette coutume ridicule devint à la longue si gênante qu'à une représentation d'Acajou de Favart, vers le
milieu du siècle, il ne put paraître qu'un seul acteur à la fois, et qu'à la représentation d'Athalie, le 16 décembre 1739,
il fut même impossible d'achever la pièce à cause de la cohue !
Les esprits éclairés ne pouvaient faire autrement que de déplorer cet abus, mais ils en étaient chaque fois pour
leurs conseils et leurs critiques.
Molière, d'abord, combattit vivement cet usage absurde, dans deux de ses comédies : Les Fâcheux et Le
Misanthrope. Puis Voltaire lui-même s'en émut et lança contre ces encombrantes banquettes ses premières attaques dans le Discours
sur la Tragédie qui sert de préface à Brutus.
Mais les comédiens, qui tenaient avant tout à leur bourse — hésitant à retrancher de leurs profits les sommes
importantes qu'ils tiraient de ces places privilégiées des « banquettes » — il est probable que Voltaire aurait vainement réclamé
contre cet abus, s'il ne s'était trouvé pour lui venir en aide un homme éclairé, grand ami du théâtre, et disposant d'une fortune
assez importante pour pouvoir payer de ses frais la suppression de ces malencontreuses banquettes.
L'année 1759 vit enfin leur suppression définitive, grâce à la générosité du comte de Lauraguais qui, par un don de
12.000 livres, réussit, en les dédommageant, à convaincre les comédiens et à obtenir leur accord.
Dès ce moment, le théâtre, étant enfin débarrassé de son absurde encombrement, la mise en scène connut un nouvel
essor.
Aussi, relever les mises en scène devint dès lors un souci important. On poussa le soin jusqu'à les éditer, et nous
en arrivons, vers 1830, à l'édition officielle des mises en scène de Pallienti, dont Scribe lui-même se plut à reconnaître, dans une
lettre fort bien motivée, l'indéniable utilité.
Il est donc probant que, depuis les temps les plus reculés auxquels nous puissions nous référer, on ait compris que
cette « œuvre vivante » qui s'accomplit chaque soir — par la grâce du metteur en scène et des acteurs —, pour le plaisir et souvent
l'enseignement des spectateurs, ne devait pas périr définitivement avec le rideau qui se baissait sur la dernière représentation, et
qu'il était essentiel d'en ménager, par le moyen du « Relevé écrit de la mise en scène », toutes les possibilités de résurrection.
C'est tout naturellement le régisseur qui, en dehors de ses fonctions techniques, eut la tâche, mais tâche
singulièrement capitale, de relever et de conserver fidèlement la mise en scène établie conformément à la première représentation.
C'est ainsi que, sous l'initiative d'un petit groupe de régisseurs, c'est-à-dire de techniciens du théâtre, la
bibliothèque de l'Association des Directeurs de Scène et Régisseurs de Théâtre de France fut fondée à Paris en 1920.
Elle se donna tout de suite pour but constructif, le relevé et la conservation de toutes les mises en scène écrites
qu'elle pourrait amasser dans ses archives.
Avant d'en parler plus en détails, je crois utile d'indiquer quels éminents services cette bibliothèque ne cesse de
rendre sur le plan culturel à tous ceux qui, non seulement de France, mais nous pouvons dire maintenant des quatre coins du monde,
viennent consulter ses archives.
Entre autres visites, nous avons reçu dernièrement celle de M. Donald Inskip, Professeur d'Université au Cap et en
même temps important Directeur de théâtre, qui venait jusqu'à nous, pour consulter à notre bibliothèque des documents qui lui
permettraient d'écrire une thèse importante sur le théâtre de Jean Giraudoux. Nous avons pu mettre à sa disposition, entre autres
documents, deux manuscrits de Siegfried accompagnés de leur mise en scène. Celle de la création, établie par Louis Jouvet, en 1928.
Celle établie à la reprise, par Claude Sainval, en 1952. C'est-à-dire à environ un quart de siècle de distance.
Mais dans ce quart de siècle, que d'événements, que de transformations sociales, que de modifications de
frontières, qui ont considérablement atteint, dans leurs fibres les plus profondes, les sociétés et les individus.
Aussi, la confrontation de ces deux mises en scène : celle de la création, et celle de la reprise, semble-t-elle nous
apporter des lumières très précieuses sur l'évolution de nos contemporains depuis ces vingt-cinq dernières années, en même temps
qu'elle nous permet de juger de la différence des tempéraments quant aux deux animateurs qui montèrent la pièce. Si, en effet, les
très rares coupures de texte, pratiquées lors de la création par Louis Jouvet n'intéressent que la présentation purement artistique de
la pièce, au contraire, les coupures beaucoup plus importantes pratiquées lors de la reprise — quelques 400 lignes de texte à peu près
— indiquent, très nettement, un impérieux souci d'adapter la pièce à la mentalité du moment.
On peut donc en conclure que le public de 1928, à peine sorti pourtant du drame de la guerre de 1914, était beaucoup
plus susceptible d'accepter dans son intégralité, le texte magnifique de Giraudoux, qui pourtant lui proposait des thèmes qui
pouvaient réveiller en lui des ressentiments légitimes et raviver des blessures à peine cicatrisées, que ne l'était le public de 1952
qui risquait d'accueillir généralement par une réprobation mesquine et partisane, ces mêmes répliques qui déclanchèrent en 1928
l'enthousiasme et les bravos.
De là à en déduire, que ce public de 1952 (intoxiqué de vitesse, souvent.. « engagé », comme on dit aujourd'hui, en
outre nourri mensuellement de « Condensés », et de « Digests » — deux termes dont le modernisme même demeure impuissant à cacher la
barbarie) de là à en déduire que ce public de 1952 présentait à l'audition des chefs d'œuvres authentiques, un esprit infiniment moins
compréhensif, et moins libéral, que le public de 1928, il n'y a évidemment on en conviendra, qu'un faible pas à franchir.
Mais ce n'est point ici, tellement notre propos. Je me suis permis de citer cet exemple significatif, pour simplement
faire sentir, combien ces confrontations de deux interprétations différentes, d'une même pièce, séparées ainsi dans le temps, comme
elles le pourraient être aussi bien dans l'espace, peuvent contenir de clartés, et combien elles sont susceptibles d'apporter
d'intéressants témoignages sur l'évolution profonde d'une même société.
II est donc à notre avis très précieux, du point de vue de la culture générale, de pouvoir mettre sous les yeux de
l'étudiant ou du simple chercheur, un ensemble de documents, tel que celui qui peut être amassé par une bibliothèque spécialisée
précisément dans la conservation des mises en scène écrites.
Du point de vue technique, maintenant.
Il est apparu aux quelques régisseurs qui créèrent en 1920 la Bibliothèque de l'A.R.T. qu'il serait utile de fonder
un organisme permanent qui pourrait offrir toute documentation susceptible d'être demandée sur la création de telle ou telle pièce.
Ceci aux fins de reprise éventuelle de ces mêmes pièces.
Grâce à l'intelligente initiative de ces pionniers — nous pouvons sans exagération les appeler ainsi — depuis 1920
chaque régisseur faisant partie de notre association est tenu d'apporter le manuscrit et le relevé de la mise en scène de toute pièce
à la création de laquelle il contribue.
Si nous ajoutons à ce fonds qui s'augmente automatiquement chaque année, le fonds d'anciennes mises en scène,
constitué par des achats ou des legs, nous pouvons dire que notre bibliothèque représente à l'heure actuelle près de trois siècles
d'histoire de la scène française.
On sentira certainement toute l'importance, et toute l'utilité de cette initiative, si l'on admet que la mise en
scène lorsqu'elle est comme il se doit, fidèlement relevée dans tous ses détails, est au nouveau metteur en scène ou régisseur qui se
propose de remonter le spectacle, ce que sont exactement, les plans, élévations, devis descriptifs et cahiers des charges à
l'architecte qui se propose de rebâtir un bâtiment.
Voici à titre indicatif la méthode que nous employons pour l'établissement rationnel de tout relevé de mise en scène
:
Chaque manuscrit comprend :
1° Le titre de la pièce avec l'indication du nombre d'actes ou de tableaux.
2° Le nom des auteurs et compositeurs.
3° Le nom du metteur en scène.
4° Le nom du décorateur.
5° Le nom du théâtre où la pièce a été créée.
6° La date de la création.
7° Le nom du directeur qui prit la charge de monter le spectacle.
8° L'analyse de la pièce et s'il se peut l'affiche.
9° Le programme de la générale.
10° La musique de scène avec les indications précises désignant la réplique du point de départ, ainsi que les arrêts.
11° La photographie de chaque décor.
12° Les plantations détaillées de chaque décor avec les côtes.
13° La liste des meubles avec indication des styles.
14° La liste des accessoires de décors avec leurs emplacements sur scène.
15° La liste des accessoires de jeu avec leurs emplacements en coulisse.
16° Le minutage de chaque acte ou de chaque tableau.
17° Les positions du luminaire.
18° La conduite des éclairages, avec les degrés d'intensité de chacun des appareils d'après le relevé du jeu
d'orgues.
19° Les sonneries.
20° La description des costumes des acteurs.
21° L'âge et les caractéristiques de chacun des personnages.
22° La liste des acteurs ayant créé les rôles (distribution).
23° Le nom des doublures ou des acteurs ayant repris les rôles. D'autre part, tout technicien du théâtre, peut
trouver à la bibliothèque, tous les documents dont il peut avoir besoin soit pour monter, soit pour remonter tel spectacle de son
choix, quel que soit le lieu où se passe l'action, ou quel que soit le temps où elle se situe. Car les fondateurs de la bibliothèque
spéciale de « mises en scène écrites » ont créé parallèlement un centre de documentation théâtrale qui s'est révélé par la suite le
complément indispensable de la bibliothèque.
24° Les baissers de rideau, suivis des indications (lent ou rapide).
25° Au cas de truquage d'un meuble ou d'un accessoire, le plan est joint au manuscrit avec explication et schéma du
mécanisme.
26° Les noms des fournisseurs.
27° Le nom du régisseur qui releva la mise en scène.
En ce qui concerne les ouvrages lyriques, la mise en scène s'établit de la même manière en tenant compte de la
mesure musicale sur laquelle le mouvement doit s'exécuter.
Les indications de jeu et de sentiment sont notées sur le texte même, tout au long du manuscrit, par des numéros
dont les renvois se trouvent notés sur la page de gauche, avec en regard les indications correspondantes de mise en scène. Chaque
mouvement important est illustré par un schéma. Il nous semble qu'avec tous ces éléments, il devient véritablement très facile du
point de vue technique de remonter un spectacle conformément à ce qui fut fait à la création.
Nous ne possédons pas bien sûr, la totalité des ouvrages documentaires intéressant les divers secteurs de la
création théâtrale, mais telle n'est point notre ambition.
Il nous suffit d'avoir pu créer un outil de travail complet ou le chercheur sera toujours assuré de trouver les
ouvrages essentiels et faisant autorité sur chacune des documentations qui pourront lui être nécessaires.
Du point de vue maintenant strictement pratique, et ajoutons aussi : éventuellement juridique : le dépôt à une
semblable bibliothèque, du relevé de mise en scène en même temps que du manuscrit intégral, est la meilleure des garanties, aussi bien
pour l'auteur, que pour le metteur en scène, et le directeur de théâtre qui prit la responsabilité financière de monter la pièce. Car
ce dépôt prend date, assure dans l'avenir à chacun selon sa part, la sauvegarde du texte exact, de la mise en scène, des conditions de
la création de l'œuvre dans tel ou tel théâtre, sous telle ou telle direction, et peut très bien être appelé lé cas échéant, à servir
la défense d'intérêts légitimes.
Afin d'assurer pleinement cette garantie, l'exemplaire original né sort jamais de nos archives. Seules sont prêtées,
sur autorisation des auteurs, des metteurs en scène, ou des directeurs, des copies dont la bibliothèque de l'A.R.T. prend
l'établissement entièrement à sa charge.
Le but que nous nous proposions sera véritablement atteint, si j'ai pu vous faire sentir combien, cette «
conservation des mises en scène écrites », en même temps que les textes joués, mais non publiés, était, non seulement utile, mais d'un
intérêt capital, aussi bien pour la culture en général que pour apporter aide efficace au spécialiste des questions théâtrales.
D'abord, pour les enseignements précieux que l'on peut en tirer relativement aux œuvres du passé. Ensuite, pour y retrouver les bases
solides sur lesquelles édifier les nouveaux efforts. Efforts qui concourront tous, dans l'évolution même d'une expression scénique en
perpétuel devenir, à l'essor ininterrompu de cet Art que nous aimons, de cet Art qui nous intéresse tous au premier chef, puisque nous
avons choisi librement d'en demeurer les fidèles servants : L'Art Dramatique.
Gabriel-Daniel VIERGE
Entretiens d'Arras, 1956