« J'ai eu la chance », se souvient Danielle Mathieu-Bouillon Présidente de l'A.R.T. , « de connaître Jacques Morel, homme délicieux à la ville comme à la scène, incarnant sans peine la bonhomie réelle, car il était un homme véritablement bon. Si son nom est aujourd'hui, en ces temps d'oubli, voire d'ingratitude, quelque peu sorti des mémoires de nos contemporains, ils sont nombreux encore ceux qui se souviennent de son visage.
Je l'ai rencontré et bien connu lors des répétitions et des représentations, au Théâtre Antoine, de Le Mari, la femme et la mort, comédie grinçante d'André Roussin entré à l'Académie Française cette même année 1974. À ses côtés deux actrices amies, merveilleuses et regrettées : Jacqueline Gauthier et Odette Laure... Jacques Morel avait conservé de ses débuts au cabaret, la plus difficile mais la meilleure des écoles, cette façon d'être si totalement « en situation » qu'il était instantanément crédible, quel que soit son rôle. Comment résumer une aussi belle carrière ? Une soixantaine de films signés Jean Renoir, Sacha Guitry, André Cayatte, Christian-Jacque, René Clair, Henri Decoin... Il fut même Louis XVI auprès de Michèle Morgan, la Marie-Antoinette de Jean Delannoy. Plus de quarante téléfilms dont la célèbre série Le Juge Fontanes ; Il compta parmi les acteurs fétiches du célèbre Au Théâtre ce soir, reprenant pour la télévision les pièces brillantes dans lesquelles il avait joué à Paris : après la diffusion de J'y suis, j'y reste de Raymond Vinci et Jean Valmy, son rôle de Cardinal lui valut longtemps d'être salué dans la rue, sous le titre de Monseigneur ! Parmi ses auteurs favoris : Jacques Deval, Félicien Marceau, René de Obaldia, Albert Husson et bien sûr Sacha, l'unique... En 1992, il était l'irrésistible Docteur Parpalaid auprès de Michel Serrault dans la reprise de Knock de Jules Romains. Il nous a quittés en 2008, mais son souvenir demeure, tant dans notre mémoire, que dans nos archives.
Dans cette mystérieuse transmission, entre un père et son fils, il est toujours présent dans le sien, Olivier Morel, lequel dirige L'Envol, la société de Vidéo avec laquelle, depuis 30 ans, nous organisons nos captations de pièces. Olivier, merci pour ta tendresse, ta fidélité, merci d'avoir gardé au fond de ton cœur toute la bonté de ton père et de le faire revivre par les intonations de ta voix, merci enfin d'avoir accepté que nous puissions mettre à la dispositions des internautes, ce texte de Jacques, en hommage à Sacha Guitry. »

(photo DR)
Coll. Olivier Morel
J'ai connu Sacha Guitry en 1951, grâce à Pauline Carton. J'avais joué avec elle, en 1947, aux Bouffes Parisiens, une revue de Colline et Arrieu, qui marquait mes débuts au théâtre proprement dit. Jusque là, j'avais fait un tour de chant et un numéro de chansonnier dans des cabarets. Pauline Carton avait peut-être décelé en moi certaines qualités. Guitry cherchait un personnage qui correspondait précisément à ce que je pouvais faire. Elle lui a parlé de moi et, sur ses instances, il m'a convoqué. J'ai donc été reçu chez lui. À cette époque, j'habitais place Vauban, dans le septième arrondissement. Nous étions voisins. Il me connaissait déjà un peu par la télévision, dont il était un fervent spectateur (et l'un des premiers !). Il m'a tout de suite parlé de ce qu'il avait vu... et nous avons commencé à répéter. Il n'était pas remonté sur scène depuis sa très grave opération et il était encore extrêmement souffrant : il avait une jaunisse. Nous avons donc répété assez longtemps parce que très peu chaque jour, son état de santé ne lui permettant pas de gros efforts. Les répétitions traînaient. La Faculté ne lui donnait pas le feu vert et, un beau jour, il a mis l'interdiction du médecin dans sa poche et a pris la décision de passer devant le public :
— Je crois que recommencer à jouer sera pour moi le meilleur des remèdes ! »
Nous avons donc joué Une Folie, qui a été relativement bien accueillie et qui a tenu l'affiche pendant plus d'un an. Notre collaboration fut pour moi très agréable. Je n'avais pas tellement un esprit de théâtre puisque j'en avais peu fait. J'avais plus un esprit de camaraderie que d'obséquiosité et je crois que c'est justement ce qui a créé des liens assez sympathiques — je dirai même assez affectueux — entre nous.
La grande réflexion que j'ai pu me faire sur Guitry, c'est qu'il était un homme à la fois merveilleux et odieux. Pas tellement odieux en lui-même, mais odieux parce que les gens, par leurs défauts et leurs lâchetés, lui avaient permis de l'être ! C'était un homme merveilleux dès qu'on était seul avec lui. On pouvait passer des heures ensemble. Dès qu'il y avait une tierce personne, il devenait impossible ! Il y a eu un événement terrible dans sa vie : son affaire de Drancy. Jusque là, il ne s'était jamais trouvé en contact avec les réalités de l'existence. Il était fils d'un être d'exception, adulé, autour de qui l'on avait créé une cour, et cette cour s'était reportée sur lui, en pire et par flatterie pour le père ! Il vivait dans un autre monde et, le jour où il s'est trouvé en face de la vie réelle — c'était malheureusement l'aspect méchant de la vie qui se présentait à lui ! —, il en a été profondément marqué.
Dans un certain sens, il était d'autant plus idéaliste et optimiste qu'il ne savait pas ce qu'étaient les difficultés de l'existence. Chaque chose mauvaise qu'il découvrait, même à un degré infime, créait chez lui une réaction d'autant plus pessimiste qu'il n'y croyait pas avant qu'elle se produisit. Aussi bien sur le plan humain que sur le plan sentimental, beaucoup de ses défauts étaient créés par ceux ou celles qui l'entouraient. Ses femmes, par exemple, en admiration devant lui au début de leur liaison, supportaient TOUT, jusqu'au jour où elles n'en pouvaient plus et le quittaient !
Je l'ai vu maussade, acariâtre, irrité, mais jamais en colère. Ses mouvements de mauvaise humeur n'étaient pas de longue durée parce qu'il avait suffisamment d'intelligence pour se rendre compte de ses torts et modifier son attitude en conséquence. Et quand sa colère était justifiée, il négligeait ceux qui en étaient l'objet, il les abandonnait dans leur coin. Il était rancunier. Il n'oubliait pas. Quand il avait eu raison de se fâcher contre quelqu'un, c'était définitivement terminé, il ne fallait plus lui en parler. Il l'avait radié ! Il était extrêmement susceptible mais pas bêtement. Sa susceptibilité était à fleur de peau parce qu'il était l'objet de beaucoup d'égards et de beaucoup d'attentions de la part d'un entourage qui évitait tout heurt. Mais quand il exprimait une pointe de susceptibilité, il la réprimait vite.
II était indiscutablement orgueilleux, avec des raisons de l'être, II n'était pas timide mais il aimait jouer la timidité. Généreux ? Par impression personnelle je dirai qu'il avait le geste aisé pour les gens qu'il aimait et spectaculaire pour ceux auprès de qui cette attitude le posait. Cela faisait un peu partie de sa légende. Il jouait de son argent comme il jouait de son personnage. Je ne l'ai jamais eu comme directeur. Il ne s'occupait guère de nos contrats, c'était le rôle de son homme d'affaires ou des directeurs de théâtres. Mais il m'est arrivé d'avoir des difficultés, justement pour des questions de contrat. C'était toujours la même histoire. Les gens qui l'entouraient disaient :
— N'en parlez pas au Maître ! N'en parlez pas à Monsieur Guitry ! Inutile de l'ennuyer avec ça ! »
Ils se servaient de lui un peu comme d'un paravent. J'admettais cela pendant quelque temps et puis, quand vraiment cela n'allait plus, j'allais le trouver et je lui disais franchement ce qui clochait. Il répondait :
— Mais pourquoi ne m'en a-t-on pas parlé ? Pourquoi me traite-t-on comme un petit enfant ? On me tient à l'écart de tout ! »
II était victime de son entourage, beaucoup plus que de lui-même !
J'ai un souvenir assez désagréable et dont je m'excuse ! C'était à l'occasion d'un Noël. On nous réunit dans sa loge pour une distribution de cadeaux — ce qui était très gentil —, depuis le régisseur jusqu'au directeur. Tous les paquets étaient les mêmes — mais on nous prévint qu'ils étaient diversement composés. Certains seraient très gâtés, d'autres moins. Quelqu'un de son entourage très proche, destiné à faire « la fée », répartit les cadeaux
— Celui-là pour Un Tel... Celui-ci pour Un tel... »
Le « doigt du hasard » fit que le directeur ou la vedette eurent une dinde et le régisseur... un pigeon ! C'était à la fois délicat et odieux : du pur Guitry !
Avec les femmes, il était merveilleux, d'une extrême courtoisie. Et pour ses femmes, il était — excusez la trivialité — très emmerdant ! C'était un accaparement total !
Pendant nos répétitions, il arrivait à Lana Marconi — qui n'aimait guère le théâtre et les acteurs — de répondre assez vertement à son metteur en scène. Et nous avons assisté quelquefois à des scènes pénibles. Pour la première fois, Guitry trouvait une femme qui n'était pas systématiquement éblouie par lui et qui n'obéissait pas à tous ses caprices ! Et je suis sûr, qu'au fond, il en a été très heureux !
Il parlait très peu de ses épouses précédentes, seulement sur un plan professionnel et sans la moindre acrimonie ni la moindre médisance.
Je crois qu'il regrettait de ne pas avoir d'enfant. Pendant les répétitions d' Une Folie, j'ai eu un enfant et les questions que Sacha a posées, l'intérêt qu'il portait à l'événement, son inquiétude même, me parurent édifiants. Il ne m'a jamais parlé de sa position devant les problèmes de la paternité, mais il me téléphonait souvent pour avoir des nouvelles de mon enfant. Il m'avait demandé s'il pourrait lui couper ses premiers ongles. Enfin j'ai senti en lui une émotion qui, je crois, n'était pas feinte.
On a toujours l'impression que Guitry aurait voulu être davantage que ce qu'il était. Pour la religion, par exemple, il était très compréhensif. Il n'était pas bigot ni simplement pratiquant mais il aurait été ravi de l'être s'il en avait eu l'occasion, car tout l'intéressait. Tout en ayant l'air de tout connaître dans sa profession, il ne connaissait rien autour de lui. Je l'ai vu, émerveillé, passer une heure avec moi pour que je lui explique le fonctionnement d'un des premiers briquets à gaz !
À la fin de sa vie, il était devenu assez irritable en raison des critiques dont il était l'objet. C'est un défaut qu'il ne devait pas avoir au départ et qu'on lui a communiqué. Quand quelque chose n'allait pas pour moi, je le lui disais franchement. Je voyais une certaine contraction sur son visage ou dans son regard mais il se mettait tout de suite à analyser ce qu'on lui avait dit. Je crois qu'il réagissait de la même façon envers les critiques. Il est juste de dire que, dans notre métier, la plupart des journalistes sont tellement maladroits qu'ils en deviennent exaspérants ! On prend bien des gants avec certains personnages en dehors du théâtre. Il n'y a pas de raison de ne pas en prendre avec quelques rois du théâtre, surtout s'ils s'appellent Guitry !
Il avait surtout pour amis des gens qui pensaient pouvoir profiter de lui. Quant aux vrais amis, son entourage s'arrangeait toujours pour les éliminer. On a fait le vide autour de lui. Ce fut d'ailleurs le drame de la fin de sa vie !
Il savait vous écouter quand vous étiez seul avec lui. Si nous étions trois, il n'écoutait plus rien : il parlait. Il savait très bien amener ses mots. Il racontait assez souvent les mêmes histoires, surtout à la fin de sa vie. Il amplifiait volontiers la réalité. Il parlait beaucoup de son œuvre, mais sur un plan anecdotique. Il n'affichait aucune fierté de ses écrits et ne paraissait pas se préoccuper de leur sort à venir. Guitry était une sorte de chansonnier, qui traitait le présent, qui vivait du présent. Il m'a surtout parlé de Je t'aime et de La Pèlerine écossaise.
Les deux dernières fois où il a paru en scène comme acteur, j'étais auprès de lui et, dans la dernière pièce, Palsambleu, j'ai tenu le rôle qui aurait dû être le sien et qu'il m'a donné quand il s'est aperçu qu'il n'aurait plus les ressources physiques suffisantes pour l'assumer lui-même. Je vais peut-être m'avancer beaucoup mais, si mes souvenirs sont exacts, il m'a dit un jour qu'il avait une certaine attirance pour moi parce que je lui rappelais un peu son père, par les attitudes et le physique, quoique en beaucoup moins puissant. Il est vrai qu'aujourd'hui, l'âge venu et mes cheveux blanchissant, j'aurais certainement des facilités morphologiques pour tenir le rôle de Guitry dans une revue ! Lui-même, en effet, au moment de sa maturité, ressemblait beaucoup à son père ! Il m'en a parlé un jour en me considérant attentivement, en bas de l'escalier de son hôtel, au-dessus duquel il y avait un grand portrait de Lucien Guitry.
Il parlait rarement de son père sur un plan affectif mais beaucoup en tant que comédien ou homme du monde. Sur le plan sentimental, je crois qu'il regrettait infiniment la brouille qui l'avait privé de lui pendant de nombreuses années. Il parlait assez souvent de sa mère, de son enfance à Saint-Pétersbourg. Il avait été bouleversé par son affaire de Drancy. Il m'a dit à ce propos :
— À ce moment-là, j'ai commencé à vivre ! Je me suis vraiment trouvé en face de la vie ! »
Quand il mettait en scène des acteurs, il n'y avait généralement pas la moindre discussion. C'était « Monsieur Guitry », merveilleux auteur et merveilleux comédien, qui nous disait de nous placer ici ou là, de faire comme ceci ou comme cela et tout le monde, du plus petit au plus grand, répondait : « Amen ! ». Je ne suis pas un comédien de métier, je suis un comédien d'instinct : je n'ai jamais appris à jouer la comédie, je ne peux reproduire les actions qu'on me demande que par rapport à ce que je ferais dans l'existence ou selon la conception que je peux me faire du personnage. Il arrivait donc que des indications de mise en scène qui convenaient très bien à son tempérament à lui, ne me convenaient pas du tout. Aussi ai-je souvent discuté ses indications :
— Non ! Je ne peux pas ! Je sens cela de cette façon et je ne pourrai pas le faire autrement ! »
Je me rappelle, entre autres, ce jour où j'avais réagi un peu violemment. Il m'a regardé, a pris un bon temps de réflexion, puis:
— Vous savez que, si vous n'aviez pas souvent raison, je vous considérerais comme un emmerdeur ! »
C'était tout lui !
Ces répétitions se déroulaient dans une atmosphère de mondanités excessives. C'était charmant, on prenait le thé. C'était adorable, d'une préciosité extraordinaire mais ce n'était pas du travail ! Le travail est une chose, la vie en est une autre. Qu'on prenne le thé après la répétition, d'accord ! Mais pendant, non : cela nous fait perdre une heure.
Ses mises en scène n'étaient pas préparées. Il s'agissait d'une improvisation totale et je dirai même qu'il aimait qu'on lui apporte quelque chose. Il m'est arrivé de faire très souvent des petits sketches improvisés pendant les scènes que j'avais avec lui. J'avais l'habitude de travailler au canevas dans les cabarets de chansonniers et, contrairement à certains autres acteurs, je n'hésitais pas à rajouter quelque chose au texte et à lancer une « tradition ». Sur le moment, je voyais que l'œil de Guitry noircissait, qu'il se demandait ce qui se passait. Je me disais que j'avais eu tort. Le lendemain, je ne recommençais pas et, le rideau tombé, Sacha venait vers moi :
— Pourquoi n'avez-vous pas dit la même chose qu'hier ? J'avais préparé une réplique ! »
Il aimait cette forme d'esprit mais presque personne n'osait se permettre d'improviser en face de lui.
Je l'ai vu faire des choses inouïes devant le public. Par exemple, au cours d'une scène importante, si un spectateur éternuait dans la salle, jamais il n'aurait manqué de venir à l'avant-scène dire :
— À vos souhaits ! »
Puis il continuait son texte comme si de rien n'était ! Quand il lui arrivait de tousser en scène, il interrompait son texte et disait aux spectateurs :
— Je m'en vais de la poitrine mais je reviens tout de suite ! »
C'était un merveilleux personnage de cabaret ! Les derniers temps, un homme tel que lui ne pouvait se laisser aller, mais il était très conscient de son état et il souffrait beaucoup. Il souffrait encore plus de ce vide que l'on faisait autour de lui, sous prétexte qu'il était malade et qu'on le poussait dans une petite voiture. Je l'ai vu mettre presque trois minutes pour prendre une pastille dans une petite boîte et la porter à sa bouche. Et il y avait toujours au moins trois ou quatre cerbères autour de son fauteuil pour éliminer tout le monde, alors que cet homme avait besoin d'un public. Je crois que cet isolement l'a plus fait souffrir encore que sa condition personnelle. Peu de temps avant sa mort, il m'a fait téléphoner pour me demander d'aller lui rendre visite, parce qu'il ne m'avait pas vu depuis longtemps. Je n'étais pas de ceux qui assistaient aux matinées du petit roi quand c'était encore possible. J'y suis allé. Il était méconnaissable. Il m'a dit en me quittant :
— Morel, j'ai beaucoup d'affection pour vous car vous êtes un des rares à avoir osé me dire des choses désagréables ! »
C'était tout le personnage : indiscutablement il avait besoin d'une cour autour de lui mais, en même temps, il la méprisait et quelquefois ces gens lui paraissaient odieux par rapport à ceux (rarissimes) qui le traitaient en homme et non en dieu !
À la fin, une odieuse bande de rapaces s'est emparée de lui. Je trouve tout cela immonde et je n'ai aucune indulgence pour ce qu'on a fait de ses souvenirs. Je n'estime pas beaucoup ceux qui ont continué à exploiter son œuvre et de quelle façon ! J'ai tourné un film posthume signé Guitry, avec des dialogues additionnels qui avaient été torchés par Dieu sait qui ! Tout cela est une hérésie, un assassinat !
Je suis convaincu que Guitry avait des ressources extraordinaires, peut-être même à son insu, de par le personnage qui s'était formé en lui. Je suis certain que c'était un être infiniment plus profond, infiniment meilleur que le souvenir qu'on cherche à en laisser. Il ne connaissait pas les hommes ! Il les connaissait à travers le théâtre, à travers le monde dans lequel il avait été élevé et où il avait vécu. Et, justement, quand il cherchait à les connaître, il allait vers eux avec une telle bonté, une telle générosité, qu'il devait vite rentrer dans sa coquille, effaré qu'il était de rencontrer de telles désillusions. C'était un grand naïf ! Et comme tous les naïfs, il avait certainement beaucoup de cœur. Il y a deux catégories de chansonniers : les féroces — que je n'aime guère — et les tendres. Les plus grands ne sont jamais féroces. Guitry n'était jamais méchant et s'il voyait qu'une réflexion instinctive, une pointe, avait fait de la peine, il en était le premier gêné. Il savait qu'il est facile de faire de la satire sur le dos des gens — mais cela lui arrivait rarement. Il y a un dilemme dans le personnage de Guitry : c'est un homme qu'on est obligé de critiquer et de trouver odieux parce qu'on est certain qu'il était autrement bon que ce qu'il montrait !