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Éloge ironique de la souffrance

par Victor Haïm

Victor Haïm

( Né en 1935 dans la banlieue parisienne, il vécut à Nantes avec ses parents jusqu'en 1941. Il dut quitter cette ville pour se refugier en Auvergne, compte tenu des mesures vichystes contre les Juifs. Ils rentrèrent à Nantes en 1945 ... Toute la famille de sa mère avait été déportée. Personne ne revint.
Études primaires et secondaires au Lycée Jules Verne et au Lycée Clemenceau. Entré au Conservatoire d'Art dramatique, il en sort deux ans plus tard sans prix mais avec une mention « pour sa diction » !!!
Il arrive à Paris en 1954 et entre à  l'École supérieure de journalisme. Il exerce une dizaine de petits métiers pour survivre... Il fait 28 mois d'armée dont 14 en Algérie. Il rentre en 1960 en France et travaille dans différents journaux sans envergure. C'est en 1963 qu'il rencontre Pierre Valde, professeur au cours Dullin, qui monte sa première pièce  La peau du carnassier avec, notamment Gérard Desarthe et Michèle Marquais. Suivront des pièces régulièrement jouées en France et à l 'étranger... Il a reçu une dizaine de prix, il a joué, à partir de 1976, dans ses propres pièces. Il a reçu le Molière en 1963 du meilleur auteur vivant.
 Ses pièces ont été traduites en une vingtaine de langues et jouées dans vingt cinq pays. )

« Nous ne sommes pas heureux, et le bonheur n'existe pas; nous ne pouvons que le désirer ».

C'est un personnage des Trois sœurs qui déclare cela, et non pas Tchekhov lui-même à propos de son métier d'auteur dramatique. Il aurait pu.

Freud disait : « Le bonheur n'est pas une valeur culturelle »... Pourquoi serait-on écrivain pour la scène, et comblé de joies, de petites satisfactions, orné de décorations, gonflé d'éloges, submergé de propositions et harcelé par des spectateurs avides de photographies ou d'autographes ?...

Un auteur rame, peine, souffre ... Qu'importe s'il y a une malédiction sur sa vie du moment qu'il y a une bénédiction sur son œuvre !

Puisque nous savons tous, avec Sartre, que « La vie est une panique dans un théâtre en feu ».

Puisque nous savons qu'un metteur en scène doit s'imposer comme un chef-d'orchestre, et que ni le compositeur mort, ni les violons ne peuvent s'insurger contre sa baguette.

Puisque nous savons que les directeurs de théâtre sont des PME (Petites et Moyennes Entreprises) et que le niveau de leurs jubilations se mesure à l'aune de leurs recettes, et non à celle de leur audacieuse curiosité.

Puisque nous savons que la télévision érige en doctrine une désinvolture résolue envers l'écriture dramatique pure et dure.

Puisque le public qui prendrait peut-être les armes pour défendre son sol, a baissé les bras devant le flux cataménial de la médiocrité cathodique.

Puisque nous cherchons à plaire, alors qu'il faudrait chercher à oser déplaire pour mieux secouer le prunier de la conscience.

Puisque « Les critiques sont aussi creux qu'il est possible de l'être sans s'écrouler physiquement », comme l'affirmait déjà George-Bernard Shaw.

Puisque le théâtre est une passion, un désir, une fiancée folle et danoise, noyée dans une rivière d'Elseneur...

Pourquoi voulez-vous qu'un auteur dramatique soit heureux ?

Victor Haïm
Mai-Juin 1993
La Lettre du Syndicat National des Auteurs et Compositeurs

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