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« Good Canary »

de Zach HELM, mise en scène John MALKOVICH, photos de Bernard RICHEBÉ - 2007, avec la participation de l'A.R.T.

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C’est la première fois, si ma mémoire est bonne, qu’un photographe suit quotidiennement la gestation d’un spectacle théâtral du début à la fin. Je connais depuis longtemps le talent de Bernard Richebé (il fut le premier photographe à obtenir le prix de Rome en sa discipline et à résider à la Villa Médicis…ses portraits d’acteurs sont célèbres). L’occasion paraissait exceptionnelle : assister, dans l’ombre de la salle, au travail de John Malkovich et de la brillante équipe de Good Canary. Tout a commencé un matin de l’automne 2006: Jean-Marc Ghanassia m’appelle sur mon portable, alors que j’étais en réunion : « Peux-tu nous recevoir Marie-Laure Munich et moi au Comedia, nous viendrons avec John Malkovich. » Sans réfléchir, je réponds : « oui bien sûr » et je raccroche, perplexe. Ai-je bien compris ? John Malkovich, comme John M…. ?

À 14 h, le caissier, qui avait du tomber de sa chaise de saisissement, me prévient qu’on me demandait dans le hall et que John Malkovich était présent ! C’était lui, en effet, courtois, curieux, bienveillant, précis et méthodique, comme un grand professionnel désireux de découvrir ce lieu, dont j’allais tenter de lui faire les honneurs. Je crois qu’il aima le théâtre au premier regard. Après une visite approfondie de la scène, alors que nous étions assis au 2ème balcon, il me confia que ce lieu lui évoquait son théâtre de Chicago… Il me parla de la pièce, de la manière dont il l’avait connue et aimée… Le lendemain j’apprenais, par Jean-Marc Ghanassia, que, Good Canary, dont il partageait les droits avec Marie-Laure Munich serait créée, si Maurice Molina en était d’accord, avec Cristiana Reali et Vincent Elbaz, au Théâtre Comedia, lui-même prendrait part à cette coproduction avec Marie-Laure et John.

Le calendrier des auditions dut s’adapter aux séjours parisiens de John. Je découvris alors son respect profond des acteurs, ses égards, sa curiosité toujours en éveil, alimentant une réflexion à la fois constante et discrète, voire secrète.

Puis, vinrent les séances de travail au cours desquelles furent résolus et aplanis la majeure partie des problèmes posés par l’aspect totalement novateur des décors et des lumières. Avec l’humilité des artisans qui, sans cesse, sur le métier remettent leur ouvrage, se conjuguèrent les talents complémentaires de Pierre-François Limbosch, auteur du concept et des images, de Marc Morange, directeur technique du théâtre chargé de dresser les plans et d’organiser leur réalisation et de Christophe Grelié à qui incombait les lumières et les effets spéciaux. En juillet les répétitions commencèrent et je présentais Bernard Richebé à John qui donna son accord pour l’aventure. Comment ne pas partager la fascination de Richebé pour un Malkovich parfaitement bilingue, dont le vocabulaire français est si choisi, si varié, tellement riche qu’il pourrait rendre jaloux nombre de nos contemporains ? Il observe, il écoute, il propose, il guide l’acteur, lui ouvrant des voies possibles, insoupçonnées, dirigeant à la fois, avec précision et liberté. J’ai toujours eu l’impression qu’il travaillait, avec en tête une musique intime, comme une rythmique précise en osmose avec l’oeuvre elle-même, en conservant en permanence une vision de peintre, ce qui explique certainement son immense complicité avec Pierre-François Limbosch. Temps intenses de travail, moments de pauses cigarette sous le soleil de la cour, propos partagés avec les adaptateurs Michael et Lulu Sadler, échanges de regards, vigilance constante de Fanette son assistante, présence active et concentrée des artistes, de l’équipe de réalisation et des techniciens, en parallèle avec le casting des canaris Riri, Fifi et Loulou qui observent, s’apeurent et s’intègrent au spectacle, frôlant presque le cabotinage. Il y aurait tant à dire et à raconter… Nous sommes tous pleins d’une émotion foisonnante de souvenirs, d’anecdotes, d’enseignements, de complicité, d’angoisses, de bonheurs, de fatigue et de rires partagés. Si je devais privilégier une anecdote, ce serait celle où, pour illustrer l’hyper-agitation d’Annie jouée par Cristiana, John avait eu, un temps, l’envie d’y associer un thème musical célèbre. Je lui précise que les droits d’utilisation seront difficiles, voire impossibles à obtenir. On en parle quelques instants, tandis qu’il passe sa main sur son crâne dans un geste qui lui est familier quand il réfléchit. Soudain il accouche littéralement d’une idée nouvelle, bien plus riche que la précédente : il explique au compositeur Nicolas Errera, qu’il faut créer une musique qui mêlera le souvenir des conversations qu’elle a eue précédemment avec ses partenaires ; ces dialogues s’accéléreront au rythme de sa folie engendrée par la prise des amphétamines, le tout se fondant dans le thème musical d’Annie. C’était la bonne idée… bien plus originale que la précédente et il lui avait fallu 45 secondes. John Malkovich, c’est aussi cette réactivité immédiate dans la créativité. Cristiana Reali, sublimissime dans son rôle, en tête d’une distribution pleine de talent, Vincent Elbaz, José Paul, Ariel Wizman, Jean-Paul Muel, Stéphane Boucher, Bénédicte Dessombz, nous pardonneront, si nous semblons au Théâtre Comedia être devenus des « fans » de Malkovich. Ils le feront non seulement parce qu’ils le sont eux-mêmes, mais aussi, parce que, face à un tel homme de théâtre, si simple qu’on oublie qu’il est connu et reconnu à l’échelon planétaire, qui œuvre avec tant d’ardeur et de talent pour ce théâtre que nous aimons tous passionnément, comment serait-il possible de ne pas en être « fans » ? Les photographies de Bernard Richebé qui survivront à cette expérience démontreront que lui non plus n’y a pas échappé.

À cet instant, j’ai envie de remercier Marie-Laure Munich et Jean-Marc Ghanassia, d’avoir franchi, un après-midi de l’automne 2006, en compagnie de John Malkovich, le seuil du Théâtre Comedia.

Danielle MATHIEU-BOUILLON
Ancienne Directrice du Théâtre Comedia, Présidente d’Honneur de l’A.R.T.

Préface

Dans Good Canary, Charlie dit, à la fin de la pièce, « on a tous une chance ». À n’en pas douter, être le photographe de Good Canary, fut pour moi une grande chance. Un immense honneur aussi. Depuis longtemps nous avions évoqué, Danielle Mathieu-Bouillon et moi, la possibilité de photographier les répétitions d’un spectacle depuis son premier jour. L’idée étant de voir progresser par l’intermédiaire des images cette construction subtile d’une pièce de théâtre. Mais cela présentait aussi le risque de perturber, par la présence d’un photographe, cette intimité extraordinaire qui se crée sur un plateau. C’est dans cet état d’esprit que j’ai abordé ces prises de vues. Le résultat a dépassé tous mes espoirs et très vite l’idée d’un livre s’est imposée dans mon esprit. Il ne s’agissait pas de créer un ouvrage de plus sur une expérience photographique, même si cela est justifié dans le principe, mais plutôt de concrétiser ma contribution et d’exprimer ainsi mes remerciements aux comédiens et au metteur en scène, John Malkovich, qui m’ont accepté. Ces prises de vues sont chargées d’émotions révélées par le jeu des acteurs et de la mise en scène. J’espère que ce livre les reflète sans prisme. Enfin, je tiens à exprimer mes plus vifs remerciements à Danielle Mathieu-Bouillon sans laquelle rien ne se serait fait et à l’association de la Régie Théâtrale qui a participé au financement de la réalisation de cet ouvrage à tirage très limité. Mais aussi à mon ami Xavier Curt qui en a réalisé patiemment la mise en page et à tous les techniciens du théâtre Comédia et enfin à son directeur Maurice Molina.

Bernard Richebé

« Il y a trente ans j’ai mis en scène une pièce de théâtre écrite par un jeune auteur américain. A l’époque il travaillait comme plongeur dans la ville de Fort Collins dans le Colorado. Il avait été diagnostiqué schizophrène et prenait un traitement probablement trop faible. Il voyagea plusieurs centaines de kilomètres, en changeant plusieurs fois de bus, pour voir une représentation de sa pièce. Quelques instants après le début du prologue de la pièce, il commença à s’agiter nerveusement et à gémir, émettant des sons, dont un s’approchant le plus d’un rire hystérique involontaire et trop longtemps réprimé. Un autre son, lugubre, à mi-chemin entre un vagissement et une mélopée funeste. Après environ une minute de plaintes sonores, il finit par dire tout haut dans notre petit théâtre où se trouvaient une dizaine de personnes : « Ce n’est pas ce que je voulais dire ! » J’étais assis à côté de lui et je lui ai murmuré : « Oh, tais-toi, bien sûr que c’est ce que tu voulais dire. » Cela a semblé le calmer, et la soirée s’est poursuivie sans nouveaux incidents. Je pense souvent à cette soirée lorsque je suis assis dans l’obscurité d’un théâtre, bien que je n’aie plus été face à ce genre de confiance ou de jeune arrogance depuis bien longtemps. Maintenant je ne peux qu’attendre ces moments, éphémères, au destin funeste, ces moments comiques ou angoissants, comme j’attends l’apparition d’un oiseau rare ou d’un papillon de nuit unique. J’espère que nous aurons de telles apparitions et j’espère que Zach Helm ne sera pas trop tenté de crier : « Ce n’est pas ce que je voulais dire.» 

John MALKOVICH
Paris, 2007