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Marcel Aymé

par Jean-Jacques BRICAIRE

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Marcel Aymé * Collection A.R.T.

L’Imprécateur humoriste
(1902-1967)

Marcel Aymé a été, sans conteste, l’un de nos plus grands écrivains, en tous cas le plus original. Poète spécialiste du fantastique, son œuvre romanesque est unique, et sa carrière théâtrale aussi brillante. Journaliste, il a été un polémiste féroce. Les adjectifs ne manquent pas pour définir l’homme : insolite, flegmatique, taciturne, hiératique.

1. Un enfant doué, espiègle et curieux
2. Naissance d’un auteur
3. Un écrivain qui s’engage
4. Un homme libre, au-dessus des partis
5. Un gai luron
6. Un quinquagénaire toujours combattif
7. Les Dernières Années
8. Quelques pièces
9. Oeuvres dramatiques
10. Extrait de « La Tête des autres »

 1.  Un enfant doué, espiègle et curieux

Marcel Aymé naît le 29 mars 1902, sixième enfant de son père Faustin, maréchal des Logis en garnison à Joigny. Sa mère, née Emma Monamy décède le 18 juillet 1904. Il est recueilli à deux ans par ses grands parents maternels à la Tuilerie de Villers-Robert, famille dans laquelle il trouvera beaucoup de chaleur et d’affection, et à laquelle il restera toujours très attaché. Les nombreux animaux de la Tuilerie firent partie de l’univers quotidien du petit Marcel. On les retrouvera sous sa plume dans les célèbres Contes du chat perché. Enfant, il se révèle très bon dessinateur et caricaturiste. Il trace des croquis sur ses cahiers d’écolier, ce qu’il continuera à faire plus tard sur ses manuscrits, dans lesquels on trouvera beaucoup de termes franc-comtois entendus dans son enfance.

C’est à la Tuilerie qu’il écrira son premier roman-comtois : La Table aux crevés. À partir d’octobre 1910, il est élève au collège de l’Arc, à Dôle. En juin 1918, le proviseur le présente comme un élève d’une intelligence très vive. En terminale, il se classe premier en math, deuxième en français, histoire et sciences naturelles. Baccalauréat en juillet 1919, à 17 ans. Toutefois, plus tard, il a toujours tenu à se faire passer, durant ses études, pour un cancre. « La guerre de 14 fit de moi pendant trois ans, le dernier des cancres ». Bon élève, donc, mais toujours prêt à faire des blagues ou à participer à des farces. Après la mort de ses grands-parents, il est recueilli par son oncle Alexis Monavy. Sa tante Léa fut pour lui « la plus vigilante et la plus tendre des mères ». Il se repaît de lectures, découvrant au grenier une grande caisse pleine de livres.

Un jeune homme fragile

Après le bac, il part pour Besançon préparer math-sup afin de se présenter au concours d’entrée à Polytechnique. Mais malade, il doit regagner Dôle début 1920, victime de la grippe espagnole. Il entre comme stagiaire à la succursale de la Banque de France de Dôle, et tombe frappé d’une sorte de crise d’épilepsie, le 1er décembre 1921. Il était déjà lymphatique et neurasthénique. On constate que la syphilis qu’il avait contractée dans les tripots a été bien soignée et n’a pas laissé de traces. Le diagnostic est une encéphalite léthargique grippale, résultat de la grippe espagnole, maladie qui affaiblit les muscles de la face, de l’élocution, de la mastication, de la déglutition, et provoque des vertiges. Ce qui explique pourquoi il voit double constamment et se sent si peu solide sur ses jambes. Il guérira, mais conservera, toujours résultant de la grippe espagnole, ce ptôsis des paupières qu’on avait qualifié de capotes de fiacre. Ces problèmes physiques, et ce risque de subir de nouvelles crises d’épilepsie partielle expliquent peut-être sa timidité, sa réserve naturelle et sa réticence à se produire dans le monde. En mai 1922, il part faire son service militaire à Neustadt, en Allemagne, au 129ème Régiment d’Artillerie lourde. Rendu à la vie civile, il s’inscrit à la Faculté de Médecine de Paris et s’installe rue Damrémont, dans ce 18ème arrondissement qu’il ne quittera plus.

Au physique, c’est un homme grand, au visage marmoréen accompagné d’un léger sourire, les yeux mi-clos, qui ne parle que rarement. Ses silences étaient célèbres. On a parlé de son langage des silences. Il a été défini tour à tour de « visage indéchiffrable de Bouddha », « grand taiseux », « longue figure de bois sculpté, totem aimable », « flegmatique et taciturne », « anar de droite », « défenseur des traditions et ennemi des conventions », « réfractaire passif », « long, stylisé, hiératique », « il a l’air d’un Saint de pierre du XIIème siècle », « profil émacié, haute face d’écorce et yeux en meurtrière », « ciseleur de monosyllabes », les adjectifs ne manquent pas. « Il était perdu dans vos pensées » a écrit Antoine Blondin.

2.  Naissance d’un auteur

Retour à Dôle en 1925 où sa sœur Camille lui propose d’écrire l’histoire de Brûlebois, un ivrogne porteur de bagages à la gare. Marcel Aymé accepte et termine le roman en avril 1926. Sa sœur, membre du comité de rédaction des Cahiers de France à Poitiers, soutient l’ouvrage qui est édité en août 1926. Le livre est très bien accueilli et connaît de très favorables critiques, ce qui décide la tante Léa à laisser son neveu partir habiter Paris, sans rien faire d’autre qu’écrire, en lui allouant une petite mensualité jusqu’à ce que sa plume puisse lui permettre de se suffire à lui même. Jusqu’en 1930, sa famille l’aide matériellement, en plus des petits métiers qu’il exerce sporadiquement, car il est gêné d’être tributaire de sa tante. Il est notamment agent d’assurances, « baron » à la foire de la République, manœuvre à Issy-les-Moulineaux, figurant de cinéma et journaliste à l’agence Radio, enfin comptable dans une affaire de courtage.

Il fréquente également, dès que l’occasion se présente, les gens de lettres. En mars 1927, Gaston Gallimard lui propose de rééditer Brûlebois. Marcel Aymé apporte alors à son éditeur son dernier roman refusé par Grasset, La Chimère poussive qui est accepté et publié sous le titre Aller-Retour. Le livre paraît en octobre 1927 avec un succès mitigé. C’est ensuite Les Jumeaux du Diable dont Marcel Aymé s’est toujours déclaré insatisfait : « J’ai l’impression d’avoir gâché un sujet qui aurait pu être intéressant ». Ce livre est le remords de sa vie. Il est accueilli avec réserve par la presse. Pris de doute, il cesse d’écrire, mais est relancé par Gallimard avec qui il a un contrat. Le Puits aux images (ex Les Amants du Puits) paraîtra dans la N R F en décembre 1927.

Il l’avait connue à Dôle en 1921, Marie-Antoinette dont le mari Gustave était employé de banque. Elle est mère d’une petite fille, Colette. Aventure guère appréciée par la famille, mais Marcel est très épris. C’est la femme forte dont il a besoin, réaliste et décidée. Très volubile également et douée pour faire rire autour d’elle. En 1929, ils décident de vivre ensemble. Elle obtient le divorce et épouse Marcel le 16 avril 1931. Ils s’installent 9 rue du square Carpeaux, toujours dans le 18ème. En juin 1929, Aymé remet à Gallimard La Table aux crevés. Le livre est immédiatement accepté, mais le titre suscite une polémique et est sauvé par Gide qui le trouve excellent. Il est question du Goncourt. Ce sera le Renaudot. Grâce aux 10 000 lecteurs assurés par le Prix – plus les mensualités accordées par Gallimard à partir de mars 1931 – et aux articles et nouvelles dans différents journaux, il peut assurer lui-même sa vie matérielle. Il se lie d’amitié avec Emmanuel Bove, homme de lettres comme lui. Les deux familles passent leurs vacances ensemble. À la mort d’Emmanuel Bove, Louise, sa femme, désignera Aymé comme mandataire des œuvres de son mari. Puis c’est La Rue sans nom, roman bien accueilli par la critique, suivi du Vaurien, qui est tout juste un demi-succès.

Après deux ans de silence, Marcel Aymé va prendre sa revanche en 1933, avec la publication de La Jument verte. C’est un énorme succès, mais certains esprits chagrins s’en prirent aux audaces de l’auteur qui va passer à leurs yeux pour un auteur licencieux, pour ne pas dire pornographique: « Une complaisance dans la crudité qui finit par devenir insupportable ». Une rude polémique s’ensuit entre Gaston Gallimard et les tenants de l’hypocrite morale bourgeoise. On faillit aller au procès. La demande d’interdiction n’aboutit pas et toute cette agitation a pour effet de faire vendre 76 000 exemplaires en 1933-34.

Beaucoup plus à l’aise financièrement, Marcel Aymé quitte le square Carpeaux pour la rue Paul Féval au 9ter, derrière le Lapin agile. Pierre Chenal, metteur en scène de cinéma, qui avait beaucoup aimé La Rue sans nom tourne le film, après avoir demandé à Marcel Aymé d’en écrire les dialogues, lequel avait imposé son ami Robert Le Vigan dans la distribution. Pierre Chenal reviendra à la charge en 1935 en chargeant Marcel Aymé d’écrire les dialogues additionnels de Crime et Châtiment. Le cinéma commence à s’intéresser à lui. Il part à Berlin pour les dialogues du Domino vert et revient à Paris pour Les Mutinés de l’Elseneur d’après Jack London, toujours avec Pierre Chenal comme metteur en scène. Il est alors très connu.

  3.  Un écrivain qui s’engage

Emmanuel BERL lui commande pour Marianne un article par semaine, cette collaboration va durer du 22 mars 1933 à 1938. Certains articles anti-hitlériens furent assez violents. Pour Marianne, il fréquente assidûment les prétoires et commente plusieurs procès, dont celui de Violette Nozière,  (jeune fille de 18 ans accusée d’avoir cherché à assassiner ses parents) en s’en prenant aux juges et aux jurés qu’il accuse de légèreté. Dans toute son œuvre, empreinte de générosité et de fraternité, il s’élèvera contre la peine de mort. La Tête des autres en fournira un violent témoignage. Il en voudra toujours à la justice de son pays et à son appareil. « À la Libération, le spectacle sans précédent en France d’une justice d’exception acharnée à la vengeance et à laquelle une magistrature craintive n’a pas ménagé son concours ».

Quelque peu délaissée, l’œuvre romanesque reparaît en 1935 avec Maison basse, œuvre différemment accueillie, puis avec Le Moulin de la Sourdine. On reparle du Goncourt, en pure perte. En 1938, Gustalin n’éveille pas grande curiosité, mais Les Contes du chat perché reçoivent le prix Chanteclerc (5 000 fr).

La déclaration de guerre le surprend en vacances au Cap-Ferret où il reste jusqu’à l’automne 40. Retour à Paris occupé. Il collabore alors à  Aujourd’hui qu’il abandonnera après le départ d’Henri Jeanson. Cette reprise du métier de journaliste se poursuit dans Le Matin et Les Nouveaux Temps. Il donne également cinq articles à Je suis partout, sollicité par Robert Brasillach pour lequel il ressentait amitié et admiration, mais seulement en qualité de critique d’art. L’article très violent qu’il écrit contre le port de l’étoile jaune est, bien entendu, interdit par la censure allemande. Il publie Travelingue, satire de la bourgeoisie puis, en 1943, Le Passe Muraille, recueil de ce qui resteront ses meilleures nouvelles. Didier Van Cauwelaert tirera une « comédie chantée » du Passe Muraille sur une musique de Michel Legrand, qui sera créée le 6 novembre 1996 à la Maison de la Culture de Nantes, et à Paris aux Bouffes-Parisiens le 15 janvier 1997. Le spectacle, pour des raisons de distribution, ne sera joué que quelques mois, mais remportera un grand succès, raflant cinq « Molière ».

En juin 1943, Marcel Aymé signe avec Bernard Grasset, qui a déjà tout fait pour l’arracher à Gallimard, un contrat assurant à l’éditeur l’exclusivité de ses œuvres dramatiques. Il songe en effet, depuis longtemps, à écrire pour la scène. Comme cela se produit souvent au théâtre, sa première pièce Lucienne et le boucher est refusée par Jouvet, Dullin et Cocteau. Il écrit ensuite Vogue la galère qui est également refusée par Jouvet. Entre temps, de1940 à 1944, il renoue avec le cinéma et rédige les dialogues de Nous les gossesLe Voyageur de la ToussaintMadame et le mort. Malgré ses articles à Je suis partout, il n’est pas mis à l’index à la Libération par le Comité National des Écrivains, et ne figure pas dans le dossier du Comité National d’Épuration.

4.  Un homme libre, au-dessus des partis

En janvier 1945, Robert Brasillach est condamné à mort. Marcel Aymé tente de le sauver en lançant une pétition parmi les artistes et les hommes de lettre. Tout le monde la signe, sauf Picasso. Marcel Aymé écrit dans Le Crapouillot : « Ses toiles s’étaient admirablement vendues sous l’Occupation, et les allemands les avaient fort recherchées. En quoi la mort d’un poète français pouvait-elle le concerner ? ». Brasillach sera exécuté en février 1945, ce qui ne suscita pratiquement aucune retombée journalistique. On était encore trop près de l’épuration, et chacun préférait se tenir coi. Marcel Aymé, comme son ami Jean Anouilh, voue alors une haine farouche au Général qui n’a pas usé de son droit de grâce. Il souffrira de la suspicion dans laquelle il s’est senti tenu après la Libération. Comment pouvait-on être aussi bien l’ami de Louis Dacquin que celui de Robert Brasillach ? Ce que personne ne voulait admettre, c’est que Marcel Aymé était un homme libre, pas plus de gauche que de droite. « C’est un inclassable, vivant en dehors du temps et de l’espace… C’est un être monolithique, sans fluctuations ni retournements ». (Louis Dacquin). Marcel Aymé apprend alors à ses dépens qu’en France, il est particulièrement difficile de penser librement pour quelqu’un qui veut être la conscience de son temps.

Marcel Aymé reprend l’écriture romanesque avec Le Chemin des écoliers qui paraît en feuilleton dans La Bataille et connaît un très grand succès public malgré une critique aigre-douce. La même année, le Ministre de l’Education Nationale, sans doute mal informé sur la personnalité de Marcel Aymé, lui manifeste son désir de le décorer de la Légion d’Honneur, et celui du Président de la République de l’inviter à l’Élysée. Marcel Aymé y répond violemment dans Le Crapouillot ; « … si c’était à refaire, je les prierais qu’ils voulussent bien, leur Légion d’Honneur, se la carrer dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens ». C’est un beau scandale !

Si Le chemin des écoliers brocardait l’actualité en s’inspirant des compromissions du marché noir, l’œuvre suivante, Uranus relèvera du même procédé en fustigeant avec vigueur les faux résistants. On retrouvera le thème dans Le Confort Intellectuel où l’auteur, par la voix de Monsieur Lepage, le narrateur, ne lésine pas dans ses propos ironiques et incisifs concernant cette résistance. En 1948, le magazine américain Collier’s l’invite aux États-Unis, en échange de quelques articles qui ne parurent jamais. Marcel Aymé n’a pas apprécié le style de vie américain, et ne sera pas tendre envers les U.S.A. dans ses pièces La mouche bleue et Louisiane.

Douking (2)  fut l’artisan responsable des débuts de Marcel Aymé comme auteur dramatique. Il avait lu, en effet, avant la guerre Lucienne et le boucher (ex Printemps) et, en 1946, conseille à l’auteur de reprendre la pièce et surtout de la ramener à une dimension convenable, car elle durait 3 heures et demie. Elle fut créée le 15 avril 1948 dans une mise en scène de Douking, au théâtre du Vieux Colombier, avec Valentine Tessier, Robert Arnoux et Henri Crémieux. Ce fut un grand succès qui tint l’affiche plusieurs mois.

La pièce fut reprise à la Porte Saint Martin le 28 août 1951, et le 17 septembre 1976 au Théâtre Saint-Georges, avec Danielle Darrieux, Georges Géret et Alain Mottet. On trouvera plus loin quelques critiques de la pièce à la création, et lors de la reprise, leur comparaison ne manque pas de sel.

Le pied à l’étrier de l’Art Dramatique, Marcel Aymé écrit Clérambard pièce créée le 13 mars 1950 à la Comédie des Champs-Élysées, qui va réjouir les libre penseurs et faire écumer de rage les bigots et les hypocrites. En effet, un miracle a lieu devant les habitants du village, et seul le curé ne voit rien. L’auteur est traité d’anticlérical et, dans Le Figaro François Mauriac se déchaîne contre l’auteur dont la pièce connaîtra un très grand succès, avec Jacques Dumesnil, Huguette Duflos et Mona Goya. Elle fut reprise le 18 mai 1954 toujours à la Comédie, et en septembre 1986, dans le même théâtre, avec Jean-Pierre Marielle. On trouvera plus loin le résumé et les critiques de la pièce. La générale de 1950 fut exceptionnellement chaleureuse, les rires fusèrent dès le début du spectacle qui a été, tout son long, ponctué d’applaudissements.

À la fin, les spectateurs, entre eux, se faisaient part de leur enthousiasme. Si ses deux premières pièces connaissent le succès, il n’en est pas de même pour la suivante : Vogue la galère, présentée au théâtre de la Madeleine le 13 décembre 1951. C’est une pièce qui raconte l’échec d’une mutinerie. Les galériens qui ont voulu conquérir leur liberté finissent par retomber sous un joug bien plus impitoyable que le précédent. C’est la première pièce qu’ait écrite Marcel Aymé en 1937. La critique est carrément hostile. « Expérience décevante au public de la Répétition Générale qui attendait beaucoup de M. Marcel Aymé » (Paul Abram – Libération), « La pièce reste le plus souvent allégorique sans atteindre à l’épaisseur humaine » (Thierry Maulnier – Combat), « On dirait une histoire de galère vue par Hollywood, un film en Technicolor, sans âme, sans vie » (Jean-Jacques Gautier – Le Figaro). La pièce ne connaît que les trente représentations syndicalement obligatoires.

Coup de tonnerre dans le monde du théâtre et de la magistrature. On répète à l’Atelier La Tête des autres (ex Aux marches du Palais) (C’est Jean Anouilh qui trouve le titre). Le sujet de la pièce est vite éventé et court Paris. C’est une charge extrêmement virulente de la magistrature. On en trouvera plus loin le résumé et les critiques. Le petit monde parisien de la justice est en plein émoi. Maurice Garçon, célèbre avocat, menace le théâtre de l’Atelier. En l’absence d’André Barsacq, son administrateur, Maurice Lasaygues fait part à Marcel Aymé de ses craintes. Ce dernier lui demande de venir le voir. Il le reçoit dans son bureau, et après avoir entendu le résumé de la situation, prend son stylo et écrit : « L’action se passe en Poldavie, antique nation célèbre pour ses tapis, ses églises et ses faïences décorées. Le spectacle de la haute magistrature poldave, parfois défaillante, est bien fait pour réconforter les français qui sont, à juste titre, très fiers de la leur ». Cette mise au point ne trompe personne. Les représentations débutent dans un climat de très vive polémique. Le scandale éclate et ne peut que servir la pièce qu’il faut avoir vue. Pendant près de deux mois, les journalistes consacrent des articles à la pièce. François Mauriac parle des « tombereaux d’ordures que chaque soir Marcel Aymé déverse sur les magistrats français ».

Ce qui n’empêchera pas Mauriac, sept ans plus tard, d’avancer son nom pour une candidature à l’Académie Française dans Le Figaro Littéraire. « Ni Marcel Aymé ni Jean Anouilh ne paraissent sensibles à notre charme, ou, s’ils sont séduits, ils le cachent bien. Ils sont fort capables de ne pas répondre à mon clin d’œil ». Marcel Aymé lui répond le jour même: « C’est avec beaucoup d’émoi que je réponds à votre clin d’œil qui me rend très fier. Pourtant je dois vous dire que je ne me sens pas l’étoffe d’un académicien. En tant qu’écrivain, j’ai toujours vécu très seul, à l’écart de mes confrères, non pas du tout par orgueil, bien au contraire, et plutôt par timidité et indolence aussi. Que deviendrais-je si je me trouvais tout à coup dans un groupe de 40 écrivains ? J’en perdrais la tête et, à coup sûr, je n’arriverais pas à lire mon discours . Ainsi feriez-vous une piètre acquisition ». Devant l’insistance de Marcel Pagnol et de Marcel Achard entre autres, il répond : « On me promettait une élection sans visite 3, mais la chose ne me tentait vraiment pas. Les représentations publiques, cet uniforme grotesque, ce dictionnaire, tout ça n’est guère tentant. Comme j’avais, parmi mes supporters, des gens très gentils, j’ai fini par dire, pour ne blesser personne – sauf Mauriac – que je ne pouvais envisager la visite – celle-ci est obligatoire – au Général. En vérité, cette raison aurait suffi à elle seule ».

Pour en revenir à La Tête des autres, Marcel Aymé faillit être poursuivi en justice par les magistrats, et la pièce est à deux doigts d’être interdite. Bien entendu, tout de ramdam ne peut que servir la pièce qui connaît un succès considérable. Marcel Aymé, à l’occasion de l’édition de la pièce chez Grasset, écrit dans Opéra : « Il est facile de dire et d’écrire que La Tête des autres est une pièce politique dictée par une haine partisane. Quant à en fournir la démonstration, c’est une autre affaire. Quoi qu’en pense M. François Mauriac, je ne sais pas ce qu’est la haine, sinon pour avoir éprouvé, en tant qu’écrivain, celle de certains confrères ». Lors de la deuxième reprise de la pièce, en mars 1959, toujours au théâtre de l’Atelier, Marcel Aymé a radouci la vigueur de son propos, sensible sans doute aux critiques qui stigmatisaient la violence du dernier acte. Acte qui est entièrement réécrit, supprimant notamment le personnage d’Alessandrovici, réplique à la scène de Joanovici 4 qui tenait les propos les plus virulents, à l’origine de la fureur de certains critiques.

Le cinéma n’oublie pas Marcel Aymé, dont il tire de nombreuses adaptations cinématographiques de ses romans et nouvelles ; La belle imageLe Passe MurailleLa Table aux crevésLa Jument verteLe Chemin des écoliers et La Traversée de Paris. Pour ce dernier film, on est stupéfait d’apprendre qu’au moment de la distribution, Marcel Aymé a tout fait pour inverser les personnages, et surtout réfuter Bourvil qu’il voulait remplacer par Bernard Blier. Quand on a vu le film de Claude Autan-Lara, qui est une réussite absolue et qui a connu un immense succès, on est abasourdi à l’idée que Gabin ait pu jouer Martin, et Bourvil jouer Grandgil. Bourvil que Marcel Aymé a tenté désespérément d’évincer et qui remporte, pour le rôle, le grand Prix d’Interprétation au Festival de Venise !

Le film tiré de La Jument verte est éreinté par la critique. Les ligues de vertu protestent, des maires interdisent la projection dans leur commune, ce qui a pour effet, comme toujours en pareil cas, d’assurer une énorme publicité et d’en faire un triomphe. Ensuite, la participation de Marcel Aymé à la vie cinématographique se borne à quelques scénarios et dialogues de films mineurs : Papa la bonne et moiLe Voyage à ParisLes Peintres de l’éternel dimanche et La Française et l’amour.

(2)Homme de théâtre et metteur en scène
(3) Il est de tradition que les écrivains qui souhaitent entrer à l’Académie Française aillent faire quelques visites protocolaires aux académiciens en place pour s’assurer de leur vote favorable.
(4) Ferrailleur milliardaire, d’origine roumaine et de confession juive, qui pendant la guerre travailla tant avec l’armée allemande qu’avec la Résistance

 5.  Un gai luron

Au théâtre, il poursuit une carrière brillante, étant presque toujours à l’affiche, et collectionne les aventures galantes auprès des comédiennes. Un hôtel près de l’Avenue Montaigne abrita quelque temps ses amours avec une célèbre actrice. Christian Millau, qui a bien connu Marcel Aymé raconte, dans son livre de souvenirs Au Galop des Hussards. « Il regarda sa montre, se leva et se dirigea vers l’hôtel voisin » (l’action se situe au bar des théâtres, avenue Montaigne) « J’appris par la suite qu’il y avait ses habitudes. Marcel Aymé ne m’avait pas menti. Il sera longtemps sensible au charme des belles actrices. À cet égard, la distribution de ses pièces, de Dora Doll à Françoise Christophe, de Judith Magre à Rosy Varte, de Nicole Courcel à Christiane Minazzoli, ne manquera jamais d’être exemplaire ».

Marie-Antoinette boit pour oublier et tente de se suicider. Marcel Aymé adapte en 1954 Les Sorcières de Salem d’Arthur Miller qu’il connaît, dans une mise en scène de Raymond Rouleau, avec Yves Montand et Simone Signoret en tête d’affiche, une totale réussite. Il écrit pourtant dans Arts: « Je veux être pendu comme une simple sorcière s’il m’arrive jamais de refaire une adaptation ». Promesse de gascon, car il récidive en 1958 avec Vu du Pont, du même Arthur Miller, mise en scène de Peter Brook.

Entre temps, il a fait représenter à l’Atelier, en 1956 Les Oiseaux de lune (ex Bel oiseau sans souci), pièce qui, comme dans ses contes fait la part belle au fantastique. C’est l’histoire de Valentin, qui a le pouvoir de changer en oiseaux tous ceux qui le contrarient. Le public accepte le postulat et s’amuse beaucoup. La pièce est jouée plus de 300 fois, ce qui console l’auteur du demi-échec des Quatre Vérités en 1954. Le thème en était pourtant très cocasse : inoculer un sérum de vérité aux membres d’une même famille. La scène a ses mystères. Louis Jouvet a résumé le succès au théâtre avec la formule : « C’est une mayonnaise qui prend ou qui ne prend pas ».

Malheureusement, la mayonnaise ne prendra pas avec ses dernières créations : La Mouche bleue en 1957, Patron en 1959, Louisiane en 1961. La Mouche bleue satire musclée de l’Amérique est présentée peu après l’invasion de la Hongrie par les troupes soviétiques et le moment semblait mal choisi d’exaspérer les américains qui semblaient le rempart le plus sûr contre l’expansion de l’URSS en Europe de l’Ouest. Quant à Patron, comédie musicale, l’idée en était originale : au sein du Ministère des Finances, il existe un véritable gang qui réalise de nombreux cambriolages pour renflouer les caisses de l’État. Mais c’est une comédie musicale, genre particulièrement déprécié en France à l’époque.

En ce qui concerne Louisiane, en 1961 la pièce connaît un véritable four, et l’auteur prend sa revanche avec Les Maxibulles farce sans queue ni tête dans laquelle Jacques Dufilho, le crâne rasé, pète des quatre fers, tient des propos invraisemblables, et est pour beaucoup dans le succès de la pièce qui raconte une histoire d’amour sublimé par l’absence. Le spectacle dure plusieurs mois. En 1960, Aymé fait un retour au roman avec Les Tiroirs de l’inconnu, ouvrage en liberté, sans la chronologie du récit traditionnel, et contenant des monologues intérieurs et des fragments de scénarios.

6.  Un quinquagénaire toujours combatif

En 1957, il a quitté la rue Paul Féval et emménagé 26 rue Norvins, aujourd’hui Place Marcel Aymé. En 63, il fait sa rentrée aux Bouffes-Parisiens avec une adaptation du Placard de Kopit (qu’il désavouera au dernier moment, en faisant retirer son nom de l’affiche) et d’un acte original Le Minotaure, interprété par Jean Le Poulain, Anne Carrere et Madeleine Lambert. C’est une aimable bouffonnerie. Irène trouve dans son salon bourgeois du Boulevard Saint-Germain, une machine agricole. Elle pousse des hurlements. C’est son mari, qui adore la campagne, et qu’elle en prive, qui a fait venir ce tracteur, afin de pouvoir avoir la campagne chez lui. Quand un poète farfelu trouvera l’idée géniale, Irène reviendra sur ses préventions. C’est ensuite, trois ans plus tard La Convention Belzebir, dernière pièce de l’auteur présentée de son vivant, refusée par Jean-Louis Barrault et André Barsacq, et montée à l’Athénée par René Dupuy le 30 novembre 1966. Le succès fut loin d’être éclatant, malgré l’originalité du postulat : l’achat d’une licence permettant de tuer son prochain. Marcel Aymé a tiré la pièce de son roman : Les Tiroirs de l’inconnu. Durant ses dernières années, il écrit pour la scène Le CommissaireLe CortègeLe Mannequin, qui n’ont jamais été représentées, mais publiées dans les Cahiers Marcel Aymé.

Ce pessimiste joyeux avait le culte de l’amitié et n’hésitait jamais à prendre, souvent avec beaucoup de risque, la défense de ceux qu’il jugeait injustement accusés de délit d’opinion. Son amitié avec Céline fut très tumultueuse. Céline, que la folie de persécution égarait totalement, le dépeint sans aménité dans Maudits soupirs pour une autre fois. Pourtant, Marcel Aymé restera l’un de ses amis les plus fidèles, en tentant de le réhabiliter aux yeux du monde littéraire et en cherchant également à rassembler des témoignages favorables à présenter lors du procès qui va s’ouvrir. Il écrit dans Le Libertaire: « Ses ennemis auront beau mettre en jeu toutes les ressources d’une haine ingénieuse, Céline n’en est pas moins le plus grand écrivain français actuel et peut être le plus grand lyrique que nous ayons jamais eu… La IVème République ne s’honore pas en tenant en exil un homme de cette envergure ».

Il écrit au Président du Tribunal une très longue lettre qui ne manque pas d’arguments en faveur de Céline. Il ira rendre visite au proscrit, le 11 mars 1951, à Klarskovgaard (Danemark). Céline, jugé par contumace, rentre du Danemark, car le Commissaire du Gouvernement vient de reconnaître que le dossier d’accusation est vide. Céline s’enferme alors dans une villa à Meudon où Marcel Aymé ira le voir presque tous les dimanches, quelquefois accompagné de Roger Nimier et d’Antoine Blondin.

Indépendant miséricordieux s’attaquant en franc-tireur aux puissances liguées de la coercition sociale. Certes, anti nazi, il demanda la grâce de Brasillach mais déclina l’invitation des amis du fusillé de prendre la parole à leur cercle. « J’aimerais mieux dîner en tête à tête avec mon percepteur » écrivit-il à leur Président. Partisan de l’Algérie algérienne, il tenta d’arracher au peloton d’exécution Bastien-Thiry, l’ultra de l’Algérie Française, commanditaire de l’attentat du Petit Clamart, contre le Général de Gaulle… Ennemi du terrorisme – celui de FLN comme les autres – il rendit visite dans sa prison au porteur de valise, le comédien Jacques Rispal. Antistalinien, il ramena dans les studios, scénariste d’un de ses films des années noires, le metteur en scène communiste, son camarade Louis Daquin, alors en quarantaine. (5)

En 1962, à la mort accidentelle de Roger Nimier, il est scandalisé par un article de Robert Kanters dans L’Express. Ce dernier écrivait : « Et il y a bien dans ce vieux pays un parti de jeunes gens qui se sentent étrangement attirés par la mort, le parti de Drieu La Rochelle, le seul finalement auquel Roger Nimier ait jamais appartenu, et on y meurt vraiment, avec la bénédiction édentée de vieillards bien portants comme M. Jacques Chardonne… C’était un lion aux ongles non point rongés, mais manucurés. Le masque de l’enfant terrible commençait à grimacer un peu sur le visage de l’homme de 36 ans ». Marcel Aymé répond, dans le bulletin de la N.R.F. : « Quelqu’un qui saisit, avec un jovial empressement l’occasion de cracher sa haine et son fiel dans une tombe encore ouverte… Roger Nimier était la vie même, la joie de vivre et même, pour les gens de son âge, la jeunesse. Ce qu’on sait beaucoup moins, c’est que ce garçon d’un grand cœur d’une inépuisable bonté, se dépensait inlassablement pour des amis, des inconnus avec toujours une exemplaire discrétion… D’un côté la générosité du cœur, de l’autre, l’envie encore inapaisée et la fureur nécrophage me permettent d’imaginer facilement quelle fut la joie de M. Kanters à la nouvelle de cette mort, la joie qui s’étale si crûment dans son misérable article. Le critique haïssait probablement l’écrivain d’être tout ce qu’il ne serait jamais, et d’abord un homme au plein sens du mot ». La brouille, on s’en doute, fut définitive.

(5).  cf : Bivouacs d’un hussard éditions de la Table Ronde

7.   Les Dernières années.

En 1963, la santé de Marcel Aymé n’est guère florissante. On cherche tout nouveau médicament susceptible de guérir ou d’atténuer sa myasthénie. Il meurt le 14 octobre 1967 d’un cancer du pancréas ayant entraîné un œdème pulmonaire. Marie-Antoinette obtient, malgré les réticences des autorités ecclésiastiques, des obsèques à Saint-Pierre de Montmartre. Il repose au cimetière Saint-Vincent, devant Le Lapin agile.

Jean Anouilh écrit alors: « Sans légion d’honneur, sans jeune ministre ému, sans honneurs militaire et sans brochette de vieillards déguisés, le plus grand écrivain français vient de mourir ».

Laissons la parole à Louis Nucera qui se souviendra dans Le Figaro du16 novembre 1996 : « Du côté de Montmartre, des années 30 aux années 60, vivait un homme que les idéologies en vogue – cet anticonformisme qui se croit courageux alors qu’il ne groupe que moutons et perroquets – ne pervertissaient pas. Il y avait du paysan en lui, un paysans du temps où le bon sens n’était pas impopulaire. Il ne consentait à aimer que ce qu’il aimait vraiment. Il lançait ses quatre vérités sans céder aux concessions que dicte la prudence, sinon la peur, car le terrorisme intellectuel ne date pas d’aujourd’hui ».

 8.   Quelques Pièces

LUCIENNE ET LE BOUCHER

Analyse
Compagne inassouvie d’un horloger chétif, Lucienne s’éprend de son voisin, le puissant boucherDuxin, homme naïf à l’âme de midinette. Envoûté par la sensualité dévorante de l’âme de l’horlogère, ilne songe qu’à la sortir du mauvais pas où elle s’est mise en tuant son minable mari et prend le cadavre à son compte. La police ne sera pas assez crédule et découvrira la vraie coupable.

Critiques
« Nous sommes mal à l’aise pour rire au beau milieu de scènes presqu’intolérables. Si c’est de l’humour, je puis assurer à l’auteur qu’il faut le pratiquer autrement au théâtre et, pour être tout à fait franc, je lui déconseille de s’y attarder. Je ne crois pas qu’il ait le don ».  Jean-Jacques GAUTIER – Le Figaro

« Il y a dans la pièce de la force et de l’effort. Moins de verve que de volonté. Et une violence qui se gâte de grossièreté. Cela ne fait pas une pièce indifférente. Je lui rends justice et je n’aime pas cela ».
Robert KEMP – Le Monde

« J’ai toujours eu la plus vive amitié pour les livres de M. Marcel Aymé… C’est dire avec quelle sympathie, quelle amitié, quelle confiance je suis entré au Théâtre du Vieux Colombier… Eh bien, au sortir du théâtre, cette sympathie était devenue du respect, cette amitié de l’affection et cette confiance, une paisible assurance ». Jacques LEMARCHAND – Combat

Lors de la reprise (septembre 1976)

« C’est presque tout le temps cocasse, et je reste étonné, à distance, de la maîtrise classique de l’auteur qui laisse entrevoir déjà la perspective du chef d’œuvre que sera, plus tard Clérambard… Que n’ai-je senti tout cela en 1948 ? Peut être étais-je encore un peu trop jeune ».
Jean-Jacques GAUTIER – Le Figaro

« La pièce tient drôlement bien le coup. Son innocence roublarde la sauve du temps. Nicole Anouilh l’enveloppe de la mise en scène qu’il faut : acide et claire, contournant le burlesque, dégustant la faille secrète d’un réalisme d’Épinal ».  Henri RABINE – La Croix

CLÉRAMBARD

Analyse
Vers 1910, en province, le Comte Hector de Clérambard, noble ruiné, oblige sa femme, sa belle-mère et son fils Octave à travailler comme des esclaves sur des métiers à tisser. Lui, fait la chasse aux chats et aux chiens pour les consommer à sa table. Un jour, Saint François d’Assise apparaît à Clérambard, lui reproche de tuer « ses frères les animaux » et ressuscite, semble-t-il, le chien du curé. Touché par la grâce, Clérambard pousse, de force, sa famille dans les sentiers de la vertu et de la charité franciscaines. Il décrète que son fils épousera La Langouste, fille publique de la ville voisine, plutôt que la laide héritière de l’avoué Galuchon. Le Comte finira par emmener tout son beau monde dans une roulotte pour aller mendier sur les routes.

Critiques
« Clérambard » est de bout en bout une pièce extraordinaire, d’un accent, d’une saveur, d’une vigueur incomparable. Dieu ! qu’on s’y amuse, comme elle vous enchante et quel bien elle vous fait. Elle balaie d’un seul coup les conventions, les timidités, les faux semblants, le savoir-vivre, toutes les poussières. Elle plonge gaillardement au cœur des vrais problèmes et de la vraie humanité ».  Francis AMBRIERE – Opéra

« Les deux premiers actes sont excellents, vifs et savoureux. Oyez ce langage direct et cru. Le langage d’un enfant de Molière et de Courteline. Voilà du gros, du solide, du percutant comique. On ne peut pas avoir tout le temps un tact infaillible. Sa pièce, qui a la rudesse d’un fabliau, qui est de l’Henri Monnier au village, et où l’on reconnaît aussi la verdeur d’un Voltaire édifiant, a amusé le public ».
Robert KEMP – Le Monde

« J’étais à Clérambard et j’y ai ri de tout mon cœur avec le public, un peu moins aux plaisanteries anticléricales qu’aux autres, bien sûr, mais je nie qu’elles soient dans Clérambard les plus nombreuses… Mais il est vrai que le ricanement sur les choses saintes fait partie de notre héritage. Marcel Aymé, fils d’Anatole France, petit fils de Béranger, est préposé, en 1950, à ce ricanement ; chaque génération a l’Anatole qu’elle mérite ».   François MAURIAC – Le Figaro

LA TÊTE DES AUTRES

Analyse
Juliette, épouse du procureur Maillart, attend, chez elle, entourée de ses amis, le procureur Bert Olieret le ménage Andrieu, la fin d’un procès qui se déroule en ville. Elle est anxieuse car elle souhaite que son mari ait pu obtenir la condamnation à mort de Valorin. Maillard fait une entrée triomphale : il a obtenu la peine capitale. Bertolier décide d’emmener tout le monde chez lui pour fêter le héros. Maillard, resté seul quelques minutes reçoit Roberte, la femme de Bertolier, qui est aussi sa maîtresse. Mais un homme fait irruption dans la pièce, revolver au poing, c’est Valorin qui s’est échappé de la prison. Il reconnaît en Roberte la femme avec laquelle il s’ébattait dans un hôtel de passe alors que s’accomplissait le crime pour lequel il est condamné.

Critiques
«La nouvelle pièce de Marcel Aymé est tout sauf indifférente. Ce sera, sans doute possible, un des ouvrages le plus passionnément discuté de cette saison. Il y a dans La Tête des autres une force comique indéniable et même irrésistible. Je ne parle pas seulement des dialogues, mais avant tout des situations, simplement, il est impossible de traiter la pièce comme un simple vaudeville. L’auteur lui-même n’a pas voulu que nous la jugions ainsi, peut être ne peut-on parler, à la rigueur, de satire de la magistrature, mais ce qui est certain, c’est que l’œuvre est, au plus haut degré « salissante ».Gabriel MARCEL – Les Nouvelles Littéraires

« Marcel Aymé vient d’écrire une pièce admirable qui a deux avantages. Elle est aussi drôle que possible et nous imaginons sans peine que notre rire se poursuivra au cours des siècles. Par là même elle est classique. Elle est utile dans un pays qui a perdu le goût de la liberté, elle nous console par sa violence, c’est ce qui la rend indispensable aux spectateurs de 1952.  Roger NIMIER – Opéra

« Je suis sorti de l’Atelier plein de tendresse, de pitié filiale pour la Magistrature Assise, en dépit des faiblesses que je sais. On n’a pas le droit, français, de ne montrer que des magistrats sans conscience, faisant joyeusement couper des têtes, de dire que leurs femmes sont des gourmandes de guillotine et que leurs petits enfants voudraient faire sauter, dans leur berceau, les têtes décollées par « l’éloquence de leur papa »… De la magistrature, l’auteur passe aux gouvernements. Il s’ébat dans une ordure qu’il a créé à plaisir. Le suintement devient une inondation. Bref, J’EXECRE ». Robert KEMP – Le Monde

« M. Marcel AYMÉ est un auteur à bile. Il ne porte pas le régime dans son foie, et ça lui coupe tous ses moyens. Il a une vieille dent contre lui. Une dent gâtée. Ça se sent. On s’attendait, d’après les premières répliques à une vigoureuse satire contre la justice. On ne devait avoir qu’un outrage à magistrats ».
TRENO – Le Canard Enchaîné

9.   Œuvres Dramatiques

15-4-1948 – LUCIENNE ET LE BOUCHER – Théâtre du Vieux Colombier

13- 3-1950 – CLÉRAMBARD – Comédie des Champs-Élysées

13-12-1951 – VOGUE LA GALÈRE – Théâtre de la Madeleine

15-2-1952 – LA TÊTE DES AUTRES – Théâtre de l’Atelier

23-1-1954 – LES QUATRE VÉRITÉS – Théâtre de l’Atelier

16-2-1954 – LES SORCIERES DE SALEM (adaptation) – Théâtre Sarah-Bernhardt

16-12-1955 – LES OISEAUX DE LUNE – Théâtre de l’Atelier

20-10-1957 – LA MOUCHE BLEUE – Comédie des Champs-Élysées

11-3-1958 – VU DU PONT (adaptation) – Théâtre Antoine

28-9-1959 – PATRON (comédie musicale) – Théâtre Sarah Bernhardt

18-9-1961 – LOUISIANE – Théâtre de la Renaissance

21-11-1961 – LES MAXIBULES – Théâtre des Bouffes Parisiens

1963 – LE PLACARD (adaptation) – Théâtre des Bouffes Parisiens

1967 – LE MINOTAURE – Théâtre des Bouffes Parisiens

20-11-1966 – LA CONVENTION BELZEBIR – Théâtre de l’Athénée

Prix
1927 – Prix Corrard (pour Brûlebois)
1929 – Prix Renaudot (pour La Table aux crevés)
1930 – Bourse Blumenthal (20 000 fr)
1939 – Prix Chanteclerc (pour Les Contes du chat perché)

Ouvrages consultés
Album AYMÉ – Gallimard
Michel LECUREUR – Marcel AYMÉ – Les Belles lettres
Jean-Louis BARSACQ – Place Dancourt – Gallimard
Les Cahiers Marcel AYMÉ