En novembre 1944, Pagnol devient Président de la Société des Auteurs. S’il est élu à l’unanimité, c’est d’abord en raison de son prestige, mais aussi parce que la Société traverse, comme partout, la crise de l’épuration. Il s’y est créé une commission pour régler ce problème qui consiste à prononcer des sanctions contre les auteurs susceptibles d’avoir collaboré avec les autorités nazies. Ce qui crée un climat exécrable. Une trentaine de membres sont concernés.
Pagnol propose de mettre fin à la commission d’épuration qui refuse de se saborder. Il décide alors d’examiner en détail le cas de chaque auteur ayant été joué sous l’occupation. Le nombre passe à plusieurs centaines ( parmi lesquels Claudel, Sartre, Anouilh, Achard, Pagnol ). La commission se décourage très vite. Pour en terminer avec ce problème, Pagnol fait adresser à tous les membres de la Société un questionnaire sur son activité sous l’occupation.
Question n° 1 : Avez-vous collaboré avec les forces d’occupation ? (répondre par oui ou par non)
Question n°2 : Avez-vous dénoncé des gens ? (répondre par oui ou par non)
Question n°3 : Si oui, certains de ceux que vous avez dénoncés ont-ils été exécutés ? (répondez par oui ou par non)
Chacun comprend que c’est un canular, et c’est ainsi que Pagnol, grâce à son autorité et à son humour, a réussi à classer définitivement le dossier épuration.
Il a enfin terminé César et souhaite, bien entendu que la pièce soit créée par Raimu, lequel a été engagé à la Comédie Française, et s’y trouve bloqué, ce qui mettra Pagnol en fureur, car au Français, Raimu, après avoir joué Le Bourgeois gentilhomme et Le Malade imaginaire n’est distribué dans aucun spectacle. Il n’aura pas le temps de retrouver sa liberté, car il meurt à la suite d’une opération bénigne. César sera créé aux Variétés en décembre 1946. C’est Henri Vilbert, marseillais, qui interprétera le rôle titre. La pièce est mollement accueillie. Ce n’est pas un bide, mais c’est loin d’être un succès. La pièce ne sera jouée que quelques semaines.
Avant ce demi échec, Pagnol avait adressé sa lettre de candidature à l’Académie Française, où la compagnie n’avait procédé à aucune élection depuis la guerre. Il y est élu au deuxième tour de scrutin au fauteuil de Maurice Donnay.
Il tourne La Belle Meunière, qui conte une aventure de Schubert avec une belle meunière qui est Jacqueline Pagnol. Pour Schubert, il engage Tino Rossi. Le film sort le 19 novembre 1952.
C’est un véritable échec. L’histoire semble languissante au public qui s’ennuie, et Tino Rossi s’y révèle un acteur épouvantable. Pour se consoler, il réalise un troisième Topaze avec, cette fois, Fernandel dans le rôle titre. Il réalise également, à La Treille, Manon des sources, avec Jacqueline et, dans le rôle destiné à Fernandel, Rellys qui va se révéler un comédien exceptionnel. Le film, qui dure 3 heures et demie, est plébiscité par le public mais discuté par la critique. Il tourne trois des Lettres de mon moulin qui sont présentées le 5 novembre 1954 et rencontrent un accueil réservé, la critique leur reprochant leur longueur et leur lenteur. Sans le savoir, Pagnol vient de dire adieu aux caméras.

Judas
Théâtre de Paris
Programme original
Collection A.R.T.
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Ce demi échec de cinéma le pousse à se retourner vers le théâtre, c'est-à-dire à son Judas, écrit pour Raymond Pellegrin. Il confie la pièce à Elvire Popesco qui vient de se rendre acquéreuse du Théâtre de Paris. Outre Raymond Pellegrin, la distribution comprend Jean Chevrier, Jean Servais, Jean Hervé. Les difficultés vont vite commencer. Pagnol a refusé d’engager un metteur en scène, de peur d’être trahi. C’est lui qui dirigera les répétitions. Pas longtemps, car il s’en montre très vite incapable. Pellegrin lui succède, puis Servais, puis Chevrier. C’est enfin Pierre Valide, appelé en désespoir de cause, quinze jours avant la première, qui recollera les morceaux, mais bien trop tard. La première du 6 octobre 55 qui marquera également la réouverture du théâtre après six mois de rénovation, s’annonce étincelante. L’accueil de la pièce n’est pas à la mesure de l’écrin. Ce n’est qu’un demi succès, ce qui désespère l’auteur qui attendait une consécration. Pagnol explique lui-même, dans ses admirables souvenirs, l’insuccès de la pièce : les catholiques lui reprochaient de réhabiliter Judas, et les juifs croyaient à une propagande antisémite. Ces commentaires ne l’ont jamais pleinement convaincu et il a dit un jour à J-J. Bricaire, l’administrateur du théâtre : « Judas est un sujet maudit auquel il ne faut pas toucher ». Sans être superstitieux, on ne peut qu’être frappé par la succession de malheurs qui se sont abattus sur l’acteur titulaire du rôle. Le soir de la quinzième représentation, Pellegrin est foudroyé en scène par une syncope et emmené en clinique. Sa doublure, Roger Rudel est dans la salle, et poursuit la représentation. Dès le lendemain, les recettes s’en ressentent. Peu de temps après, Rudel est frappé à son tour : crise d’appendicite foudroyante. Ambulance, clinique, opération d’urgence. Le rôle est repris par Daniel Bremont, jeune comédien talentueux mais manquant d’expérience. Dans ces conditions, les recettes s’effondrèrent et la pièce quitta l’affiche après deux mois de représentations.

Judas
in L'Avant-Scène - 1955
(photo DR)
Collection A.R.T.
Pagnol précisa : « On ne peut rien contre la volonté divine, il est même glorieux d’en avoir provoqué la manifestation, et d’obéir ainsi à une interdiction venue du ciel ».