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Jean Giraudoux

par Geneviève LATOUR

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Jean Giraudoux * Fonds Serge Bouillon et Danielle Mathieu-Bouillon. Collection A.R.T.

ou Un diplomate et poète
1882-1944

Pour un homme d’action à l’âme de poète, ce serait mourir que de laisser étouffer en lui son humour, son imagination, son amour des mots, la musicalité de ses phrases.
Ainsi en fut-il de Jean Giraudoux et de son théâtre. Toujours balancés entre le réel et l’illusion, ses personnages authentiques, au langage léger parfois précieux et toujours percutant, avaient le pouvoir d’entraîner le spectateur dans un monde qui n’appartenait qu’à l’auteur. Cet auteur pour lequel fut inventé l’adjectif  giralducien à l’instar de ceux de cornélien  ou de racinien.

1 . Le Premier de la classe
2.  Les Débuts d’un diplomate et d’un écrivain célèbre
3.  Le Succès exceptionnel d’un auteur et de son metteur en scène
4.  Les Succès du Théâtre de l’Athénée
5.  Un auteur dans la tourmente
6.  La Gloire posthume
7.  Résumés et critiques de quelques pièces
8. Œuvres dramatiques

            1 . Le Premier de la classe 

« Ma ville natale est Bellac, Haute – Vienne. Je ne m’excuserai pas d’y être né. Je ne m’excuserai pas davantage de n’avoir connu de grande ville qu’à ma majorité et de n’avoir passé ma jeunesse que dans cinq villes dont aucune ne dépassait cinq mille habitants. Les profits de ce stage ont été incalculables. ».(1) Ainsi s’exprimait, une soixantaine d’années plus tard, Hippolyte-Jean Giraudoux né le 29 octobre 1881.
Second fils d’un père fonctionnaire et d’une mère très tendre et très attentionnée, le jeune garçon gâté par les siens, découvrit une vie heureuse dans la maison de son grand-père vétérinaire à Bellac.

Deux ans plus tard, son père Léon Giraudoux fut muté à Bessines, commune sise à trente kilomètres de Bellac. Toute la famille déménagea mais elle se faisait un plaisir de revenir le plus souvent possible passer ses vacances à son point d’attache.

Dès l’âge de quatre ans, Hippolyte-Jean apprit à lire sur les genoux de sa maman. Elle lui enseigna ainsi qu’à son frère aîné Alexandre  les fables de Jean de La Fontaine qui faisait l’orgueil des Bellacquais pour avoir séjourné dans leur ville.
En 1890, L. Giraudoux fut nommé percepteur à Pellevoisin, jolie petite ville du département de l’Indre. Nouveau déménagement. Cette fois le jeune Hippolyte-Jean fréquenta l’école primaire où il se montra un excellent sujet et à onze ans, se classa premier élève du canton à l’examen du certificat d’études.
Une fois encore un an plus tard, la famille Giraudoux dut plier bagages pour s’installer cette fois dans le département de l’Allier, à Cérilly où Jean fut inscrit au collège.
Boursier en 1893, l’adolescent entra interne au lycée de Châteauroux. L’élève fut le plus brillant de sa classe dans toutes disciplines. Il raflait  non seulement les prix d’excellence de français, de latin, de grec et d’histoire. Membre de la société sportive La Lycéenne, il remporta le championnat du quatre cents mètres. Par ailleurs, l’adolescent trouvait un grand plaisir à l’écriture et tout particulièrement à composer des scénettes. Ainsi fut-il à 17 ans, l’auteur d’une petite comédie de salon, intitulée La Chaisière de Chamignoux dans laquelle l’influence d’Alfred de Musset n’était pas étrangère :
« Dites-moi étoile
S’il est sous vos voiles
De quoi caresser
Dites-moi la terre
Si notre misère
Va bientôt passer »

Être un brillant sujet se paye. Jean dut quitter sa chère province afin de pouvoir poursuivre des études supérieures : « J’achevais ma rhétorique, quand un proviseur de Paris m’offrit son lycée. J’hésitais,… Paris ? Bien peu m’importait alors qu’on plaçât autour de ma classe trois millions de gens en plus. Mes maîtres s’étonnèrent de mon indifférence et m’obligèrent à les abandonner. » (2)

Mais joie ! À Paris, l’étudiant Giraudoux découvrit les plaisirs qu’offraient la capitale : les théâtres de l’Opéra Comique, de la Comédie-Française, de l’Odéon, du Vaudeville, du Théâtre Antoine, les musées mais aussi, le Parc des Princes.

Après avoir obtenu le premier prix de grec au Concours Général, il termina sa seconde année d’hypokhâgne avec le Prix d’excellence. Reçu à l’ École Normale Supérieure, il dut en différer l’entrée pour accomplir son service militaire au 98ème régiment d’Infanterie de Roanne.
Libéré de ses obligations envers la Patrie, il rejoignit l’école de la rue d’Ulm. Après avoir obtenu une licence de Lettres avec mention « bien », il fut diplômé d’études supérieures d’allemand et sortit premier de Normale Sup. Il obtint alors une bourse d’études pour l’université de Munich et lors de son séjour dans cette ville, devint répétiteur du fils du prince de Saxe.

1906-1907 . Après avoir signé un premier conte dans la revue Marseille-Étudiant, Jean Giraudoux publia trois articles dans la revue Athena , puis, il se présenta à l’agrégation d’allemand. Pour une fois, il échoua !!! mais décrocha un poste de lecteur à l’Université d’Harvard, pour la durée d’une année.

(1)  Jean Giraudoux Littérature 1941
(2) Jean Giraudoux Simon le Pathétique 1918

          2.  Les Débuts d’un diplomate et d’un écrivain célèbre

De retour à Paris, Jean Giraudoux entra comme rédacteur de la page littéraire au quotidien du Matin et publia son premier ouvrage Les Provinciales chez le nouvel éditeur Bernard Grasset en 1910. Ayant choisi la carrière diplomatique, Jean Giraudoux se présenta au concours des Chancelleries. Reçu le premier, il est nommé élève vice-consul à la direction Politique et Commerciale au Ministère des Affaires Étrangères.
À dix-huit ans, il connaît son premier chagrin d’amour pour la sœur d’un ami. Mais il se consolera quelques années plus tard auprès de Suzanne Roland, qui divorcera pour l’épouser .
Sans perdre de temps, Grasset publie en 1911 le deuxième ouvrage de Giraudoux L’École des indifférents dont la lecture enchante Paul Claudel. Ce dernier recommande le jeune auteur à Philippe Berthelot, directeur de cabinet au Ministère des Affaires Étrangères. Voici donc la carrière de notre futur diplomate en bonne voie. C’est pour lui un plaisir que d’effectuer des voyages en Europe en tant qu’accompagnateur de la valise diplomatique.
Malheureusement, le 1er aout 1914, sonnait le tocsin de la guerre. Dès septembre, le sergent Giraudoux, affecté au 298 ème régiment d’Infanterie, fut blessé lors de la campagne d’Alsace. Guéri après un séjour dans un hôpital de Bordeaux, il fut embarqué l’année suivante pour les Dardanelles où les combats faisaient rage. Blessé une seconde fois, Giraudoux fut rapatrié à Paris pour y être soigné.

Après avoir été nommé sous-lieutenant, cité à l’ordre de l’Armée, décoré de la Légion d’honneur, en 1916, il entra au bureau de la Propagande du Ministère des Affaires Etrangères.
Envoyé tout d’abord comme instructeur militaire à Lisbonne, il participa ensuite à la mission Harvard aux Etats-Unis – mission destinée à préparer de jeunes volontaires à venir se battre en France.
Pendant ce temps paraissaient en librairie deux nouveaux ouvrages : Lectures pour une ombre  et Simon le Pathétique.
Novembre 1919, Giraudoux, retrouva le quai d’Orsay en tant que secrétaire d’Ambassade. Et comble de joie, devint le père d’un joli petit Jean-Pierre.
1920, 1921, 1922, 1923,   à chaque année son nouveau roman : Adorable ClioSuzanne et le pacifiqueSiegfried et le Limousin. Dans ce dernier ouvrage, récompensé par le prix Balzac, Giraudoux fit appel à la fois à ses souvenirs d’enfance et ceux engrangés lors se son séjour en Allemagne.
La publication de Bella provoqua en 1926, une sorte de scandale politique. Il s’agissait d’un pamphlet où le lecteur pouvait reconnaître sous les personnages de Rebendart et Dubardeau, Raymond Poincaré, Président du Conseil en opposition à Philippe Berthelot, secrétaire général au Ministère des Affaires Étrangères et protecteur de Giraudoux, ce dernier ayant naturellement le beau rôle…
Alors qu’il était placé hors cadre et mis à la disposition de la Commission d’Évaluation des Dommages de Guerre des Alliés, Jean Giraudoux fit la rencontre la plus importante de toute sa vie, celle du comédien et metteur en scène Louis Jouvet.

           3 .   Le Succès exceptionnel d’un auteur et de son metteur en scène 

Âgé de quarante ans, en pleine possession de sa célébrité, Louis Jouvet était directeur du théâtre de la Comédie des Champs-Élysées.  L’entente des deux homme sera pour toujours amicale et complète. «  Il n’y a jamais eu entre Jouvet et moi qu’un contrat, celui qui exclut les félicitations et qui remplace la louange réciproque par une collaboration spécialisée, une affection ouvrière et le dévouement que suppose cet artisanat du théâtre qui est devenu ma passion et mon honneur » . (1) Toutes les pièces de Jean Giraudoux ( à l’exception de Sodome et Gomorrhe, montée pendant l’Occupation en l’absence de  Jouvet et  Pour Lucrèce,  mises en scène quelques années après le décès des deux complices ) seront mises en scène par Louis Jouvet, parfois interprète du rôle principal masculin. «  Ce qui fascinait Jouvet, c’était la beauté et la pureté de la langue de Giraudoux ». (2) Dix ans plus tard, se rappelant les débuts de leur collaboration, Jouvet racontait : « J’avais appris que l’auteur de  Siegfried et le Limousin  songeait à son roman pour la scène. À vrai dire, lorsque je le rencontrai pour la première fois, il avait déjà écrit une pièce qui aurait duré huit heures » .( 3)

Giraudoux accepta de bon cœur de retravailler son texte en tenant compte des remarques, des coupures, des propositions de son metteur en scène. Le 3 mai 1928, le rideau de la Comédie des Champs-Élysées se levait sur l’histoire du soldat Siegfried. Blessé au champ de bataille, frappé d’amnésie, il avait été soigné et rééduqué en Allemagne, pour devenir dans ce pays un personnage de premier plan. En réalité, Siegfried était un écrivain français que reconnut Geneviève, sa fiancée du Limousin. Mis devant le fait accomplir, il dut se rendre à l’évidence…
Événement théâtral de la saison 1927-1928, la première représentation de  « Siegfried » réunit le Tout-Paris. Le souvenir de la Grande Guerre était encore présent dans les cœurs et le public se passionna. La critique fut souvent plus qu’élogieuse mais parfois indignée. Certains louèrent « l’humour attendri et le lyrisme familier » (4) «  le diagnostic précis » (5)  de l’auteur. Mais, tandis que le critique du Petit Journal se félicitait que « l’œuvre (soit) essentiellement pacifique », (6) René Doumic de l’Académie Française s’insurgeait : « C’est le cœur serré, dans un profond sentiment de tristesse et d’humiliation que j’ai assisté à la pièce de M.Giraudoux , Siegfried, une pièce allemande par un auteur français, une pièce à l’honneur de l’Allemagne ». (7)
En dépit de ce méchant article, le spectacle connut une très jolie carrière. Il atteint la 300ème représentation avant de partir en tournée à travers la France.

Fort de ce succès, dix-huit mois plus tard, le duo Giraudoux – Jouvet présentait  Amphitryon 38, comédie en trois actes. De Sophocle à Von Kleist, en passant par Molière, Jupiter épris de la simple mortelle Alcmène, inspira un grand nombre d’auteurs, d’où le numéro 38 dont Giraudoux gratifia son héros. Sans obtenir le triomphe de  Siegfried, la pièce connut un beau succès. Si la bonne critique ne fut pas excellente, c’est qu’il fut reproché à l’auteur de ne pas posséder la « vis comica », la force comique : «  D’une façon ininterrompue, M. Giraudoux recherche ( et dans un travail visible, pénible, sec, appliqué ) l’esprit, les traits comiques, les mots. Par malheur, il n’a pas de disposition dans ce sens ». (8)

Le spectacle fut affiché néanmoins 236 fois à la Comédie des Champs-Élysées et l’année suivante, lors d’une tournée en Allemagne, il fut accueilli triomphalement…
Ayant signé un contrat avec Roger Martin du Gard pour sa pièce Le Taciturne  à la Comédie des Champs-Élysées, Louis Jouvet dut exiler Jean Giraudoux vers une autre scène.
Ce fut au nouveau Théâtre Pigalle que fut mise en scène Judith, tragédie en trois actes inspirée du célèbre récit de l’Ancien Testament. Alors que dans ce dernier, l’héroïne juive consciente de son devoir, décapitait le général Holopherne, ennemi de sa patrie, la jeune héroïne de Giraudoux agissait par amour, décidant de s’unir au tyran dans la mort. Sans en avoir eu le temps de se sacrifier elle-même, elle fut acclamée par son peuple comme une sainte.
Le montage de la pièce ne se fit pas sans mal. Certains rôles furent donnés puis repris, certains comédiens se désistèrent pendant les répétitions. Bref, la date de la première représentation dut être retardée d’un mois et c’est finalement le 4 novembre 1931 que le rideau se leva sur la première scène de la tragédie.

La soirée de la première représentation fut extrêmement brillante, – smokings et robes longues  tandis que la mise en scène de Jouvet fut fort appréciée : « … vivante, hardie, prestigieuse, admirable de goût, d’originalité, d’inventions » (9), la distribution fut sujette à caution : « On l’a ( la pièce ) fait jouer par des actrices et des acteurs de type sémite ; ils la sabotent d’ailleurs à qui mieux mieux ». (10) Quant à l’auteur, contesté par les uns  :  « … Quel pamphlet contre les Juifs », (11)«  (spectacle ) plus indigeste que déconcertant et aussi ennuyeux que prétentieux », (12) il fut fort applaudi par quelques autres : «  La meilleure soirée de la saison », (13)«  Une des plus belles œuvres du théâtre contemporain ». (14)
Alors que le public commençait à se rendre nombreux au théâtre Pigalle, le spectacle cessa d’être affiché sans avoir atteint la 50ème représentation. Le directeur du théâtre prétexta des difficultés financières, prétendant ne pas rentrer dans ses frais.
Il fallut attendre deux ans avant que le rideau se lève sur une nouvelle pièce de Jean Giraudoux. Entre temps, le jeune diplomate avait été nommé Chargé de mission au cabinet d’Edouard Herriot devenu alors Président du Conseil, et dut accompagner son chef dans de différentes missions.

Ce fut donc le 1er mars 1933 qu’eut lieu de nouveau au théâtre de la Comédie des Champs-Élysées la première représentation d’ Intermezzo, ouLe Songe d’une nuit d’été limousine, titre qui annonçait un simple intermède, une sorte de divertissement. Cette fois, l’auteur ne faisait appel à aucune légende historique, biblique ou mythologique. Le sujet était de pure invention poétique. L’action se situait dans un village du Limousin où depuis quelque temps se passaient de « curieuses choses ». Isabelle jeune institutrice avait, disait-elle, rendez-vous tous les soirs avec un spectre. Spécialiste de la chasse au surnaturel, venu exprès pour rétablir l’ordre, l’inspecteur d’Académie s’efforça de tendre un piège au fantôme…, il échoua. Seul l’amour d’un homme pour Isabelle et sa demande en mariage auront raison du fantôme qui disparaîtra pour toujours. Ainsi le petit village retrouvera-t-il son train-train quotidien et l’inspecteur pourra conclure : «  L’argent va de nouveau aux riches, le bonheur aux heureux, la femme au séducteur… ».

Outre les dix comédiens de la distribution, huit petits rats de l’Opéra avaient été engagés pour jouer les rôles des élèves d’ Isabelle. Ces jeunes danseuses, évoluant sur une musique de Francis Poulenc, offraient tout au long du spectacle une note de gaîté, de poésie, de fraîcheur juvénile qui ravissait le public. Quant aux répétitions, elles s’étaient déroulées dans la joie : « Pour la première fois, je regretterai de voir ma pièce créée, car les répétitions furent si délicieuses que je ne peux qu’appréhender les représentations ». (15)

Certains critiques se référèrent à Shakespeare, à Musset, à Goethe, à Maeterlinck pour tenter de traduire la poésie qui se dégageait du spectacle. D’autres se montrèrent tout simplement enthousiastes : « Texte vif, mais très dense , redonnant de la dignité au mot divertissement ».(16)
Par la suite, Intermezzo fut affiché maintes fois sur les scènes françaises et traduite en de nombreuses langues. La pièce fut reprise en Grande-Bretagne, en Tchécoslovaquie, aux Etats-Unis, au Mexique, en Espagne, au Japon, et très souvent en Allemagne.

(1) Jean Giraudoux  Conférence du Congrès du Théâtre 4 mars 1931. Texte repris dans Littératures 1941
(2)  Danielle Mathieu-Bouillon Le Théâtre des Champs-Élysees est ouvert  Editions Verlhac 2013
(3)  Louis Jouvet  L’Ordre 16 mai 1938
(4) M . Martial-Piéchaud  La Revue hebdomadaire N° 5 -1928
(5) James de Coquet Le Figaro 4 mai 1928
(6) P. Ginisty Le Petit journal 4 mai 1928
(7) La Revue des deux mondes 1er juin 1928
(8) André Rouveyre  Mercure de France   15 décembre 1928
(9) Edmond Sée   L’Oeuvre  8 novembre 1931
(10) XXX  L’Humanité   9 novembre 1931
(11) J. Gandrey-Rety  Chantecler 12 décembre 1931
(12) XXX  Comoedia  5 novembre 1931
(13)  James de Coquet Le Figaro 6 novembre 1931
(14) Edmond Jaloux L’Intransigeant 13 novembre 1931
(15)  Jean Giraudoux    22 février 1933
(16) Pierre Bost Revue hebdomadaire 11 mars 1933

          4.   Les Succès du théâtre de l’Athénée

Été 1934, Louis Jouvet quittait la Comédie des Champs-Élysées pour prendre la direction de l’Athénée. Il inaugura son théâtre avec une reprise d’  , le temps de mettre en scène l’adaptation par Jean Giraudoux de Tessa, la nymphe au cœur fidèle  des auteurs britanniques Margaret Kennedy et Basil Dean. Occasion pour Louis Jouvet d’offrir le rôle principal à la jeune comédienne Madeleine Ozeray dont il était tombé amoureux. La pièce, accompagnée d’une musique de Maurice Jaubert, fut un succès que partagea Jean Giraudoux : « À un couplet, à une cruauté pointue, à une fantaisie qui fuse et s’éteint aussi vite, à des attendrissements pudiques comme aux mots drôles qui ne sont jamais bas, on reconnaît Jean Giraudoux ». (1)

Tandis que le théâtre affichait près de trois cents fois Tessa la nymphe au cœur fidèle, Jean Giraudoux, nommé inspecteur des postes diplomatique et consulaire, donnait une série de conférences à travers la France.
En 1935, l’auteur dramatique prit le pas sur le diplomate. Deux nouvelles pièces seront représentées au Théâtre de l’Athénée au soir du 22 novembre.
En première partie ce fut un lever de rideau : Supplément au voyage de Cook, sorte de clin d’oeil au Supplément au Voyage de Bougainville, conte philosophique de Denis Diderot. La pièce située à la fin du XVIIIème siècle mettait en scène la rencontre de majors et de ladies anglaises avec le Huron de Voltaire et les Iroquois de Foe. Les spectateurs s’amusèrent et apprécièrent : « La note exotique des pagnes fleuris s’oppose à la truculence des uniformes anglais écarlates et dorés ». (2)
Mais, à la sortie du théâtre, nombreux se demandaient pourquoi avoir mis au programme deux œuvres aussi différentes que Supplément au voyage de Cook et La Guerre de Troie n’aura pas lieu. (3)
Certes cette dernière pièce ne comprenait que deux actes, elle semblait sans doute un peu courte à Louis Jouvet pour constituer à elle seule un spectacle, mais en réalité, elle aurait pu se suffire à elle-même, car elle est, sans contredit, l’une des plus importantes œuvres du théâtre de Jean Giraudoux.
Quoiqu’inspirée par les héros de l’IlliadeLa Guerre de Troie n’aura pas lieu était d’une actualité criante ( la grande guerre n’était pas oubliée et la menace d’un nouveau conflit était très inquiétante ). Giraudoux y posait la question essentielle :   la       guerre était-elle une fatalité insurmontable puisqu’un «pacifiste est un homme toujours prêt à la faire… pour l’empêcher»? (4)

Le public subjugué se passionna. Et lors du « discours aux morts » prononcé par Hector, au second acte, un frisson général traversa la salle. Le succès se prolongea toute la saison jusqu’au mois de juillet 1936.
De retour d’une mission diplomatique en Amérique du Nord et en Amérique Centrale et après avoir refusé le poste d’Administrateur de la Comédie-Française que lui proposait le ministre Jean Zay, Jean Giraudoux s’attaqua à une nouvelle œuvre : Électre, inspirée de nouveau par la légende grecque.
Alors que l’exposition universelle allait ouvrir ses portes et que Paris attendait un afflux de touristes, Électre, pièce en deux actes, fut créée le 13 mai 1937 au théâtre de l’Athénée. L’action de la pièce se situait entre l’assassinat d’Agamemnon et celui de Clytemnestre. Pour l’auteur « Électre c’est le mythe de la vérité ». (5) Après avoir retrouvé son frère Œdipe venu venger la mort de son père, la jeune Électre découvrait peu à peu les noms des auteurs du crime : sa mère et l’amant de celle-ci. Elle ne pourra oublier.

Giraudoux assista à presque toutes les répétitions, se félicitant du travail de son metteur en scène :  « Je travaille avec Jouvet mais je suis son élève. Voilà sept pièces que nous montons ensemble. D’un texte écrit pour quelques personnes, il en fait un spectacle pour tous ». (6)

Si la critique fut assez sévère envers l’auteur «  M. Jean Giraudoux, cette fois, a exigé de ses auditeurs un effort inhumain. Il y a surtout dans la seconde partie de la pièce (…) un mélange si extraordinaire de supérieur et de pire qu’on sort de là souffrant d’une sorte de tournis intellectuel et d’une menace d’indigestion verbale », (7) la mise en scène et le jeu des acteurs furent unanimement applaudis : « Voilà un spectacle digne de ce que devrait être l’Exposition. Une fois de plus M. Jouvet a biemérité du théâtre ». (8)

Électre connut son heure de gloire. En 1959, la pièce entra au répertoire de la Comédie-Française et eut l’honneur d’être représentée devant le Général de Gaulle.

S’inspirant de L’Impromptu de Versailles au cours duquel l’auteur Molière se livrait au public, Jean Giraudoux, blessé par les médiocres critiques d’Électre, écrivit, au cours de l’été 1937, une sorte d’improvisation intitulée  : L’Impromptu de Paris. Cette œuvre de circonstance fut affichée en première partie d’une reprise de La Guerre de Troie n’aura pas lieu le 4 décembre 1937. Alors que les comédiens étaient en scène, prêts à répéter, arrivait un spectateur contestataire. L’auteur, par la voix de Jouvet, répondait alors à son adversaire en défendant son théâtre.

En voyage d’inspection aux États-Unis, Jean Giraudoux n’assista pas aux représentations de L’Impromptu de Paris. Mais informé par Jouvet il apprit que dans son ensemble, la critique, mise en cause, affectait l’indifférence, allant jusqu’à refuser de prendre la pièce au sérieux.
Depuis deux années, sous la direction d’Edouard Bourdet, la Comédie-Française s’était donné pour tâche de dépoussiérer son répertoire. Le nouvel administrateur avait engagé les quatre metteurs en scène du Cartel : Georges Baty, Charles Dullin, Georges Pitoëff et Louis Jouvet. Ce dernier exprima le vœu de monter une œuvre de Jean Giraudoux. C’est ainsi que celui-ci eut l’honneur de voir affichée, à partir du 13 octobre 1938, une de ses œuvres sur les murs de l’Illustre Maison. Il s’agissait du Cantique des Cantiques. Le premier titre avait été Le Proverbe des Proverbes, pourquoi l’avoir abandonné ? Tout simplement parce que la pièce se présentait comme une version païenne du poème biblique. On y traitait, avec une ironie certaine, de l’amour terrestre fait de complicité et de désaccord. On ne badinait toujours pas avec les sentiments, mais on n’en mourrait plus… La distribution, très applaudie, comprenait quelques célèbres sociétaires de la Comédie-Française : Madeleine Renaud, Béatrice Bretty, Pierre Dux, Fernand Ledoux, Jean Debucourt. La critique fut élogieuse encore que certains, angoissés par les menaces de guerre, se demandaient si « L’euphorie que l’on goûte à ce divertissement est-elle bien ce qu’il faut de nos jours ? » (9)
4 mai 1939 alors que Jean Giraudoux venait de publier Pleins Pouvoirs, ouvrage politique à la gloire de la France et de ses fils, le rideau se levait au théâtre de l’Athénée sur Ondine (10)– adaptation de Undine, récit poétique de l’auteur allemand Friedrich de la Motte-Fouqué, dont l’étudiant Giraudoux avait dû faire un commentaire lors de son diplôme supérieur d’allemand – « Jamais le thème de la séparation, de l ‘amour, de l’absence, de la mort ne m’a paru plus insupportable » (11) écrira quelques vingt-cinq ans plus tard Eugène Ionesco. En effet, pour Hans , un chevalier, simple mortel, aimer et être aimé d’une Ondine, jeune divinité nordique, cela ne pouvait que le condamner à mort. Louis Jouvet désirait présenter le spectacle dans une ambiance de totale féérie. Il confia donc au peintre Pavel Tchelitchev, décorateur des ballets russes, « … un mystique, un poète du théâtre… » (12) le soin de concevoir les maquettes des trois actes.
Le travail de préparation fut considérable. Trente trois comédiens interprétant quarante-six rôles répétèrent plus de quarante fois. Mais le résultat dépassa toutes les espérances. Après une répétition générale et une soirée de gala triomphales, le bureau de location fut pris d’assaut, dès les premiers jours. Alors que Jean Giraudoux se trouvait au Consulat de France à New-York, Louis Jouvet lui envoya un télégramme ainsi conçu : « Ce soir record. Dépassons vingt-neuf mille francs (stop) moyenne journalière vingt-huit (stop) Ondine et Hans vous embrassent ».

(1) Maurice Martin du Gard Les Nouvelles littéraires 17 novembre 1934
(2)  XXX Comœdia 22 novembre 1935
(3) cf.  Quelques pièces
(4) Jean Giraudoux Je suis partout 7 décembre 1935
(5) Jean Giraudoux L’Insurgé 12 mai 1937
(6) Jean Giraudoux Les Nouvelles littéraires 16 mai 1937
(7) Pierre Brisson Le Figaro 16 mai 1937
(8) Gabriel Marcel Sept jours 21 mai 1937
(9) Pierre Lièvre Le Jour 13 octobre 1938
(10) cf  Quelques pièces
(11) Cahier de la compagnie Madeleine Renaud-Jean Louis Barraud n° 2
(12) Louis Jouvet Les Cahiers Jean Giraudoux n°2

 

          5.   Un auteur dans la tourmente

Un tel triomphe pouvait annoncer une longue et fructueuse carrière de la pièce. Malheureusement, les événements en décidèrent autrement. Suspendu le 30 juin pour les vacances d’été, le spectacle ne put reprendre en septembre comme prévu. La guerre venait d’être déclarée et une grande partie des comédiens et du personnel technique était mobilisée.
La défaite… l’Occupation allemande…
En mai 1941, après quelques démêlés avec la censure allemande, Louis Jouvet quitta la France pour une tournée de quatre ans aux Amériques.
De son côté, Jean Giraudoux abandonna la carrière diplomatique et se retira chez son frère à Cusset, tandis que son fils Jean-Pierre ( 21 ans ) rejoignit l’Angleterre.
Dans la solitude de l’Allier, Giraudoux se remit à l‘écriture par un nouvel impromptu d’un acte : L’Apollon de Marsac qui deviendra L’Apollon de Bellac. L’action se passait dans la salle d’attente d’un ministère : une jeune fille, Agnès, tentait en vain de se faire recevoir jusqu’au moment où elle comprit que pour réussir il suffisait de dire aux hommes qu’« ils étaient beaux ». Après quelques mois de silence, Jean Giraudoux et Louis Jouvet reprirent contact et le premier expédia une copie dactylographiée de sa pièce au second. Ce dernier la mit immédiatement en répétition et la première représentation eut lieu le 16 juin au Teatro municipal de Rio de Janeiro.
En 1939, pendant les répétitions d’ Ondine, Giraudoux avait mis en chantier sa douzième pièce : Sodome et Gomorrhe, une tragédie, une fois encore, inspirée de la Bible.  Il la termina pendant l’hiver 1941-1942. Le ménage Giraudoux  traversait alors une grave crise affective et Jean envisageait de quitter définitivement son épouse, restée à Paris. Inspirée par les sentiments personnels de l’auteur, la pièce tentait à prouver l’incompatibilité inéluctable entre l’homme et la femme. L’amour durable n’existera jamais entre eux. N’ayant pu découvrir un seul couple heureux sur terre le courroux du créateur sera implacable envers l’espèce humaine.
En l‘absence de Louis Jouvet, ce fut le metteur en scène Douking qui monta la pièce au théâtre Hébertot, dans des décors de Christian Bérard, sur une musique d’Arthur Honegger.
La répétition générale eut lieu le 11 octobre 1943. Présentée par Jacques Hébertot comme un oratorio, la pièce parut longue et fut moyennement accueillie : « Monsieur Giraudoux pastiche Monsieur Giraudoux », (1) « le cou tendu, les oreilles béantes, tout crispés d’attention, comme ils (les spectateurs) s’efforcent ! comme ils s’affichent ! comme ils poussent ! et les crampes en perspectives ! les torticolis de l’intellect ! ». (2)
Affiché deux cent quatorze fois, le spectacle connut toutefois une belle carrière. La personnalité de la célèbre actrice Edwige Feuillère et la découverte du jeune comédien Gérard Philipe dans le rôle de l’Ange en furent les meilleurs atouts.
Au printemps 1943, Jean Giraudoux fut de retour à Paris où il s’installa seul à l’hôtel. Le cinéaste réalisateur Robert Bresson fit alors appel à lui et lui proposa d’écrire, en collaboration avec le Révérend Père dominicain Bruckberger, le scénario du film à grand succès Les Anges du Péché.

Bien avant la guerre, Louis Jouvet s’était épris d’une pièce anglaise, The Old Ladies d’après le roman de Hugh Walpole et l’avait fait découvrir à Giraudoux. Il s’agissait de trois vieilles femmes, un peu folles en proie à leurs marottes. Les mois passant, Giraudoux prit des notes, ébaucha quelques scènes. Cette fois, il se mit sérieusement au travail, envisageant qu’à son retour en France, le premier spectacle monté par Jouvet serait, sans conteste, cette nouvelle pièce qu’il intitula. : La Folle de Chaillot. (3) Le manuscrit terminé, son auteur n’en était pas entièrement satisfait. Il recommença donc le premier acte, développa le second et ne cessa d’apporter des modifications à l’ensemble.
Conjointement à La Folle de Chaillot, Giraudoux entreprit une nouvelle pièce à l’intention d’Edwige Feuillère. Il s’inspira cette fois du récit de Tite Live relatant le suicide de la romaine Lucrèce, violée par le fils de Tarquin, suicide qui entraîna la chute de la royauté. Giraudoux transposa l’action à Aix-en-Provence, sous le Second Empire et intitula son œuvre Pour Lucrèce.
Au cours de l’année 1943, Giraudoux eut le chagrin de perdre sa mère. Dès lors, sa santé se dégrada peu à peu. Sans être vraiment malade, il se sentait affaibli et le 31 janvier 1944 alors que le rideau se levait sur Sodome et Gomorrhe, on apprenait la mort de Jean Giraudoux, apparemment victime d’un empoisonnement alimentaire. Il était âgé de soixante et un ans.

(1) Jean Silvain L’Appel 21 octobre 1943
(2)Henri Jeanson Notre Combat 30 octobre 1943
(3) Cf Quelques pièces

6.   La Gloire posthume

Après une tournée de quatre ans au Brésil, en Argentine en Uruguay, au Chili, au Pérou, en Équateur, en Colombie, au Vénézuéla, à Cuba en Haïti, au Mexique, en Martinique et en Guadeloupe, le 18 février 1945, Louis Jouvet revint à Paris et retrouva son théâtre de l’Athénée. Son premier soin fut de mettre en répétitions La Folle de Chaillot. La distribution était fort nombreuse : trente-neuf comédiens dont Marguerite Moreno dans le rôle de la « Folle ». Le montage de la pièce, très onéreux, se montra bien au-dessus des moyens financiers de Louis Jouvet. Il n’hésita pas à faire feu de tout bois. Alors qu’il sollicitait une subvention de l’Etat – subvention qu’il s’engageait à rembourser personnellement – , il faisait passer dans la presse une annonce demandant qu’on  « lui vende de vieux vêtements d’il y a quarante ou cinquante ans pour habiller certains interprètes de la pièce de Giraudoux ». (1)
Après quatre-vingt-dix-huit répétitions, le spectacle fut enfin prêt. Outre la répétition générale et la soirée de première, qui eurent lieu les 20 et 22 décembre, un gala en honneur de « la Résistance » fut organisé le 21, sous la présidence du Général de Gaulle.
La Folle de Chaillot, considérée comme le testament de Jean Giraudoux, remporta un succès exceptionnel. Outre le texte, la mise en scène, l’interprétation, les décors et les costumes firent l’objet d’admiration de la part du public. Des applaudissements sans fin saluèrent Louis Jouvet, Marguerite Moreno, Christian Bérard.
Devant des salles combles, la pièce fut jouée deux cent quatre-vingt dix-sept fois. Elle quitta l’affiche, non par manque de recettes, mais par l’épuisement des comédiens qui tombaient malades les uns après les autres. Marguerite Moreno et Louis Jouvet, eux-mêmes, succombèrent à la fatigue.
En 1950, Louis Jouvet se proposa de monter la dernière pièce de Jean Giraudoux, Pour Lucrèce. Il prit contact avec Edwige Feuillère, l’actrice pour laquelle l’auteur avait écrit l’un des rôles principaux. Malheureusement, la comédienne et le metteur en scène ne se s’entendirent pas et Jouvet remit son projet à l’année suivante … avec une autre vedette.
Une fois de plus, la vie en décida autrement : Louis Jouvet mourut, presque subitement, le 16 août 1951, dans son théâtre.
Après avoir été refusée par le Comité de lecture de la Comédie-Française et son administrateur Pierre-Aimé Touchard, Pour Lucrèce fut affichée le 6 novembre 1953 au Théâtre Marigny,sous la direction de la Compagnie Renaud-Barrault et Edwige Feuillère retrouva le rôle écrit pour elle.
Au soir du 30 avril 1954, la pièce, jouée en alternance avec Le Partage de Midi de Paul Claudel et  La Répétition ou l’amour puni de Jean Anouilh, atteignit la centième représentation. Son succès, moins grand assurément que celui de La Folle de Chaillot, fut toutefois très honorable.
Il faut avouer néanmoins qu’en 1953, l’actualité théâtrale était en pleine évolution. Les auteurs à la mode s’appelaient alors Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Arthur Adamov… Certes, le charme de Jean Giraudoux était toujours reconnu et apprécié, mais pour certains il avait déjà le goût d’un autre âge.

(1) Le Figaro 30 octobre 1945

7.   Quelques pièces

          LA GUERRE DE TROIE N’AURA PAS LIEU

Pièce en deux actes, créée le 21 novembre 1935, au théâtre de l’Athénée. Interprétation par Mmes Falconetti, Madeleine Ozeray Paule Andral, Marie-Hélène Dasté, Andrée Sertilange, Odette Stuart, Lisbeth Claival, Gilberte Géniat, Jacqueline Morane, Véra Pharès et MM Louis Jouvet, Pierre Renoir, Romain Bouquet, Robert Bogar, José Noguero, Pierre Morin, Auguste Boverio, Alfred Adam, Maurice Castel, André Moreau, Bernard Lancrey, Jacques Terry, Paul Ménager, Henry Libéré, Henri SaintIsles, Yves Gladine, Jacques Perrin.
Mise en scène de Louis Jouvet. Décors de Mariano Andreu. Musique de Maurice Jaubert .

Analyse

Alors qu’à Troie on attend l’envoyé des Grecs au sujet de l’enlèvement d’Hélène par Paris, le pacifiste Hector s’efforce de convaincre Priam, Paris et Hécube que « La Guerre de Troie n’aura pas lieu » et qu’Hélène pourrait retourner auprès de son mari Ménélas. Les deux chefs, Hector le Troyen et Ulysse le Grec, s’entendent pour éviter la conflit. Ils croient y réussir, quand Demokos s’interpose et menace à nouveau. Furieux, Hector le tue et les Troyens assassinent le grec Ojax. Comme l’avait annoncé la pessimiste Cassandre, « La Guerre de Troie aura lieu ».

Critiques

« Monsieur Jean Giraudoux vient de nous donner, à travers quelques héros grecs et troyens un poème de désespoir sur et contre la guerre qui comptera certainement parmi ses œuvres les plus fortes (…) M. Giraudoux nous offre à l’heure actuelle l’expression la plus vigoureuse de la poésie dramatique. Parmi beaucoup d’autres noblesses, la pièce qu’il vient de nous offrir a celle du courage ».
Pierre Brisson Le Figaro 24 novembre 1935

« Une fête magnifique de la subtilité, un divertissement d’intellectuel de la qualité la plus rare… Si M. Giraudoux insulte la gloire, vitupère les poètes, enguirlande les survivants de la guerre mais à sa façon anéantit en quelques répliques le monument de l’illusion humaine, c’est qu’il voudrait ramener l’homme à la raison »
M. Armory Comœdia 23 novembre 1935

« Tout ce qui, au théâtre, semble interdit au commun des mortels, le monologue, l’explication du personnage par lui-même, Giraudoux s’en saisit pour nourrir notre illusion. (…) La Guerre de Troie n’aura pas lieu est une satire ? Giraudoux ne dira pas non, pas plus qu’il ne niera que sa pièce est aussi une tragédie traitée légèrement et un drame écrit sur une donnée d’opérette quoiqu’elle n’emprunte à aucun des trois genres. Mais le discours aux morts de la guerre, dit par Jouvet sans inflexion, à voix contenue, pourrait bien devenir d’ici peu de jours « une prière sur l’Acropole » à la mesure de notre temps et de son inquiétude ».
Colette Le Journal 23 novembre 1935

« Lorsqu’on se trouve devant un écrivain qui met autant de pudeur dans les mots et de fine ironie jusque dans l’émoi, on est gêné de parler de son œuvre avec emphase. Et pourtant si j’écris ici qu’il y a des parties de chef-d’œuvre dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu, c’est que je le pense… Il y a notamment dans le second acte de la nouvelle pièce de M. Jean Giraudoux des passages d’une grandeur étonnante et l’extrémité de son ouvrage, celle qui en précipite le dénouement et que la dramaturgie appelait la catastrophe, offre des moments les plus élevés du théâtre contemporain.
M. Jean Giraudoux y a rejoint de plain-pied la tragédie et nous en a communiqué l’émotion sacrée ».
Gérard Bauer L’Écho de Paris 23 novembre 1935

          ONDINE

Pièce en trois actes, créée le 4 mai 1949, au théâtre de l’Athénée.
Interprétation : Mmes Madeleine Ozeray, Raymone, Jeanne Hardein, Jeanne Reinhardt, Odette Talazac Simone Bourday, Guitty Flexer, Marthe Herlin, Wanda Malachowska, Micheline Buire, Jacqueline Ricard, Gilberte Prévost, Janine Viénot, Hélène Constant, Véra Pharès, Nicole Munié – Berny . MM : Louis Jouvet, Félix Oudart, Romain Bouquet , Roger Bogar, Maurice Castel, Auguste Bovério, Jean Parédes, Jean Gournac, Marcel Lupovici, Henri Saint-Isles, Jacques Thiéry, Julien Barrot, Michel Vadet, Emile Villard, Marc Enthony.
Mise en scène : Louis Jouvet. Décors et costumes : Pavel Tchelitchev. Musique : Henri Sauguet.

Analyse

Accueilli par un couple de pauvres pêcheurs, Hanz, chevalier errant fait chez eux la connaissance d’une fille sauvage « Ondine », divinité des eaux. Ondine tombe amoureuse du jeune homme auquel elle n’est pas indifférente. Le roi des Ondins se montre compréhensif et propose alors un pacte à Ondine  : elle aura le droit de vivre son amour humain, si Hans, amoureux à son tour, lui est fidèle, sinon il mourra. Or Hanz a une fiancée Bertha qui se rappelle à son bon souvenir. Pressentant que Hans va la trahir et pour lui éviter la punition mortelle, Ondine disparaît. Un pêcheur la coince dans son filet. Mais tandis qu’elle ne cesse de clamer son amour pour Hans, celui-ci prépare ses noces avec Bertha. Alors le chevalier se meurt et Ondine retrouve ses sœurs, les naïades, en ayant oublié son amour.

Critiques

« Ondine, à la suite de Siegfried et d’ Intermezzo se situe dans la travée supérieure de l’œuvre du poète qui cette fois encore, parvient à faire jouer les reflets irisés de l’intelligence sur les mouvantes architectures du songe »
Gabriel Marcel Le Temps présent 26 mai 1939

« Hans et Ondine, c’était le réel et l’irréel ; l’action dont l’union au rêve est fragile, qui finit toujours par une trahison. C’était l’homme géorgique et la nature… Telle est ma perversité que je me composais un mythe politique : Ondine m’apparaissait en nation géorgique, faite pour le soleil, les jeux d’eau, le nudisme – et qui se donne un maître. Il est beau, d’une beauté impérieuse, un peu trop militaire (…) À quoi peuvent vous entraîner les acrobaties de M. Giraudoux ! »
Robert Kemp Le Temps 8 mai 1939 »

« Cette fois, voici tout le monde réconcilié. L’art du spectacle et l’art littéraire ne font qu’un. M. Giraudoux a donné une féérie à M. Jouvet. M. Jouvet a donné au public une admirable féérie. C’est un des plus beaux spectacles qu’on ait vus, un des plus beaux qui se puissent. »
Lucien Dubech Candide 10 mai 1939

« Une féérie ! Nous en avions besoin, grands dieux ! Et nous la méritions. Pour toutes sortes de raisons qui ne relèvent pas toutes de l’envahissante politique, mais du théâtre lui-même, qui, ces derniers temps, ne rêvait guère. »
Maurice Martin du Gard Les Nouvelles Littéraires mai 1939

          LA FOLLE DE CHAILLOT

Pièce en deux actes, créée le 22 décembre 1945, au théâtre de l’Athénée.
Interprétation : Maurice Lagrenée, M. Baconnet, Sybille Gélin, Félix Oudart, Ray Roy, Lucien Bargeon, Jean Dalmain, René Besson, Louis Jouvet, Martial Rèbe, Monique Mélinand, André Moralès, André Berny, Léo Lapara, Georges Riquier, Camille Rodrigue, Véra Silva, Marguerite Moreno, Auguste Bovério, Jean Le Maître, Michel Herbault, Fred Capel, Marguerite Mayane, Raymone, Lucienne Bogaert, Paul Grosse, Michel Grosse, Jean Bloch, René Pontet, Michel Etcheverry, Jacques Monod, Jean Carry, Guy Favières, Paul Rieger, Hubert Rouchon, Wanda, Jean Dalmain, Marc Eyraud, Jacques Mauclair.
Mise en scène Louis Jouvet  Décors et costumes : Christian Bérard    Musique : Henri Sauguet

Analyse

À la terrasse du café Chez Francis, place de l’Alma, des soi-disant hommes d’affaires prennent l’apéritif tout en décidant de la création d’une « Union bancaire du sous-sol parisien » destinée à prospecter le sous-sol de la colline de Chaillot. Tandis qu’on ranime un jeune homme, qui vient de se jeter à l’eau après avoir été la proie de ces trafiquants, apparaît un chiffonnier, très au fait de la situation et qui en informe la vieille Aurélie, dite « La Folle de Chaillot ». Celle-ci décide de venger le jeune homme et de lui redonner le goût à la vie. Elle réunit ses trois amies : « la Folle de Passy », « la Folle de Saint-Sulpice » et « la Folle de la Concorde » et toutes quatre inventent un subterfuge pour punir les spéculateurs. Aurélie annonce que sous sa cave gît un puits de pétrole. Les trafiquants se précipitent, s’engouffrent dans le souterrain qui est en fait un précipice.

Critiques

«  En me rendant à cette soirée, et avant que le rideau se lève, j’avais peur qu’après tant d’imitations, de parodies, de faux et de sous-Giraudoux dont nous avons été abreuvés depuis deux ou trois années, le vrai Giraudoux nous parut désuet. Eh bien ! il n’en est rien, il reste le miracle de l’intelligence. Il est inimitable et nous sommes maintenant convaincus (moi du moins) que cela n’a pas tellement d’importance qu’on l’imite, qu’on le pille et qu’on le contrefasse, car, tout compte fait, la contrefaçon est impossible ».
Jean-Jacques Gautier Le Figaro 20 décembre 1945

« La Folle de Chaillot n’est sans doute pas du meilleur Giraudoux, mais on y retrouve Giraudoux tout entier. À commencer par ses développements en « acte gratuit » où le mot entraîne un autre mot, l’image une autre idée, la phrase une autre réplique et la réplique une autre scène, car rien n’est moins rigoureux que cet art surintellectuel. C’est le triomphe des vues de l’esprit (…) N’est-il pas troublant de se dire que cet art dramatique qui, plus qu’aucun autre, dédaigna les ressources de l’action, de l’acte et même du geste, fut celui qui, plus qu’un autre, réclama le secours et les artifices de la mise en scène ? ».
Philippe Hériat La Bataille 27 décembre 1945

« Le personnage de La Folle de Chaillot est sans doute, avec l’Isabelle d’ Intermezzo, le seul personnage authentique de tout le théâtre de Giraudoux, le seul qui ait une psychologie personnelle, un caractère singulier ».
Pierre-Aimé Touchard Opéra 26 décembre 1945

« Le Tout-Paris applaudit à tout rompre. Il applaudit Jouvet, Bérard, Giraudoux, Moreno, tout. Parce qu’il s’y connaît ? Non, parce qu’il s’y « reconnaît ». Il retrouve son avant-guerre ».
Roger Grenier Terre des Hommes 22 décembre 1945

« Il est bien certain que la présentation par Louis Jouvet au théâtre de l’Athénée de La Folle de Chaillot, pièce posthume de Jean Giraudoux, est l’événement le plus émouvant qui se soit produit dans le monde du théâtre depuis mettons six ans. En disant « émouvant » plutôt que « important », je pense être juste et ne rien minimiser ».
Jacques Lemarchand Combat 22 décembre 1945

8. Œuvres dramatiques

1928 – 3 mai    SIEGFRIED  Comédie des Champs-Élysées
1929- 8 novembre  AMPHITRYON  38  Comédie des Champs-Élysées
1931 – 4 novembre JUDITH Théâtre Pigalle
1933 – 1er mars INTERMEZZO Comédie des Champs-Élysées
1934 – 14 novembre TESSA Théâtre de l’Athénée
1935 – 22 novembre LA GUERRE DE TROIE N’AURA PAS LIEU – deux actes –
et SUPPLÉMENT AU VOYAGE DE COOK – un acte – Théâtre de l’Athénée
1937 – 13 mai ÉLECTRE  Théâtre de l’Athénée
1937 – 4 décembre L’IMPROMPTU DE PARIS – un acte – Théâtre de l’Athénée
1938 – 13 octobre CANTIQUE DES CANTIQUES Comédie-Française
1939 – 4 mai ONDINE Théâtre de l’Athénée
1942 – 16 juin L’APOLLON DE BELLAC  Teatro Municipal de Rio de Janeiro, puis Théâtre de l’Athénée le 19 avril 1947
1943 – 11 octobre SODOME ET GOMORRHE  Théâtre Hébertot
1945 – 22 décembre LA FOLLE DE CHAILLOT  Théâtre de l’Athénée
1953 – 6 novembre POUR LUCRÈCE  Théâtre Marigny par la Compagnie M. Renaud – J.-L. Barrault

1929 Les Siamoises projet de pièce
1936 Les Gracques pièce inachevée

Reprises des pièces de Jean Giraudoux

1947 L’ Apollon de Bellac mise en scène : Louis Jouvet
1949 Ondine mise en scène : Louis Jouvet
1951 Intermezzo mise en scène : Maurice Jacquemont
1952 Siegfried mise en scène : Claude Sainval
1955 Intermezzo mise en scène : Jean-Louis Barrault
1957 Amphitryon 38 mise en scène : Claude Sainval
1959 La Guerre de Troie n’aura pas lieu mise en scène : Guy Parigot
Électre mise en scène : Pierre Dux
Ondine mise en scène : René Lafforgue
1961 Supplément au voyage de Cook mise en scène : Jean Meyer
Judith mise en scène : Jean-Louis Barrault
1962 Supplément au voyage de Cook mise en scène : Jacques Charon
La Guerre de Troie n’aura pas lieu mise en scène : Jean Vilar
1963 L’ Apollon de Bellac mise en scène : René Clermont
Pour Lucrèce mise en scène : Raymond Jérôme
1965 La Folle de Chaillot mise en scène : Georges Wilson
1966 Intermezzo mise en scène : Daniel Leveugle
Électre mise en scène : Raymond Gérôme
La Guerre de Troie n’aura pas lieu mise en scène : Jean Darnel
1969 Sodome et Gomorrhe mise en scène : Simone Hérard
1970 La Guerre de Troie n’aura pas lieu mise en scène : Yves Kerboul
1971 Électre mise en scène : Andreas Voutsinas
La Guerre de Troie n’aura pas lieu mise en scène : Jean Mercure
1972 La Guerre de Troie n’aura pas lieu mise en scène : Jean Darnel
1974 La Folle de Chaillot mise en scène : Jean Deschamps
Sodome et Gomorrhe mise en scène : Roland Monod
Ondine mise en scène : Raymond Rouleau
1976 Amphitryon 38 mise en scène : Jean-Laurent Cochet
1977 Judith mise en scène : Jean-Pierre Laruy
1978 Intermezzo mise en scène : Jean Meyer
1979 Ondine mise en scène : Jean-Pierre Laruy
1980 Siegfried mise en scène : Georges Wilson
L’ Apollon de Bellac mise en scène : Jean-Paul Cisife
La Folle de Chaillot mise en scène : Michel Fagadau
1981 La Guerre de Troie n’aura pas lieu mise en scène : Jean Meyer
Cantique des cantiques mise en scène : Jean-Paul Cisife
1982 Pour Lucrèce mise en scène : Jean-Pierre Laruy
Ondine mise en scène : Jean-Claude Fall
Sodome et Gomorrhe mise en scène : Jean-François Prévand
1983 La Folle de Chaillot mise en scène : Bernard de Coster
1984 Ondine mise en scène : Jean-Pierre Laruy
1987 La Folle de Chaillot mise en scène : Simon Eine
1988 La Guerre de Troie n’aura pas lieu mise en scène : Raymond Gérôme
1993 Ondine mise en scène : François Rancillac
1994 La Folle de Chaillot mise en scène : Jean-Luc Tardieu
1995 L’ Apollon de Bellac mise en scène : Herbert Rolland
1999 Électre mise en scène : Jean Dalric
2001 La Folle de Chaillot mise en scène : François Rancillac
2004 Ondine mise en scène : Jacques Weber
2006 La Guerre de Troie n’aura pas lieu mise en scène : Nicolas Briançon
2013 La Guerre de Troie n’aura pas lieu mise en scène : Francis Huster.
La Folle de Chaillot mise en scène : Didier Long