LE MALENTENDU
La pièce a été créée le
26 juin 1944 au
Théâtre des Mathurins, mise en scène de Paul Oettly avec Gérard Philipe, Georges Vitaly, Michel Bouquet, Margo Lion, etc.
Analyse
Un homme était parti pour faire fortune Dieu sait où. Vingt-cinq ans plus tard, il revient dans son village natal où sa mère et sa sœur tiennent un hôtel. L’homme se présente comme voyageur. Les deux femmes ne le reconnaissent pas . Pendant son sommeil, elles le tuent pour le voler. Le lendemain matin, la jeune épouse vient rejoindre son mari...
Critiques
« Je ne crois pas que nous ayons avec M. Albert Camus qui l’a écrite, un nouvel auteur dramatique, ainsi qu’on nous le promettait. Une habile publicité avait suscité la curiosité autour de cet écrivain et je me demande sur quoi elle reposait. »
Alain Laubreaux - Le Petit Parisien 1er juillet 1944
« Se peut-il qu’au moment où notre Pays se déchire, tout ce qu’on vient lui proposer c’est le vagissement anarchique d’un collégien intelligent, en mal de publicité ? (...)En écoutant M.Camus, je me disais :« Est-ce là notre future après-guerre ? Est-ce à cela que les Français aspirent, eux qui depuis dix ans réclament que ça change ? Est-ce cela notre Révolution de demain ? »
Georges Pelorson - La Révolution Nationale 1er juillet 1944
« Donc, Messieurs Albert Camus, Marcel Herrand et Jean Marchat se sont trouvés, à leur grand regret - les Judéo-Anglo-Américains ayant un léger retard sur leur horaire - dans l’obligation d’offrir au public parisien la pièce d’Albert Camus avant l’arrivée dans notre capitale du Général Eisenhower. C’était pourtant leur désir le plus cher, ainsi que l’avait exprimé hautement Jean Marchat qui réservait dévotement cette surprise étrangement littéraire aux valets de Staline (...) Je recommande à la Milice ce croquignolet « Malentendu », essentiellement stalinien, pour le renouvellement de la pensée et de la moralité française. »
Jacques de Féraudy - Le Pilori 5 juillet 1944
« Le Malentendu clôt la saison théâtrale. Le Théâtre français paraît aussi être devant une césure, une nouvelle époque. La période des essais, des expériences les plus diverses est close. Bientôt surgiront des œuvres plus claires et d’un symbole moins abscons. Ceci ne se manifeste pas encore mais déjà le présent contient les promesses de l’avenir. Le Malentendu de Camus est une des œuvres annonciatrices.
Albert Busche - Paris Zeitung 16 juillet 1944
Extrait sonore du Malentendu avec M. Casares et A. Cuny
Acte 2 Scène 1
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CALIGULA
La pièce a été créee le I8 décembre 1945 au Théâtre Hébertot, mise en scène de Paul Oettly, avec Gérard Philipe, Georges Vitaly Michel Bouquet, Margot Lion, Jean Barrère, Georges Saillard, François Darbon, Norbert Pierlot, etc.
Analyse
« Cette pièce est l’histoire d’un échec, et Caligula auquel le pouvoir a permis la réalisation de ses désirs cruels et sadiques reste vrai au milieu de la crainte et de la haine qu’il a suscitées. Il encourage par son attitude ceux qui ont entrepris de le détruire, et sa mort prend la forme d’un suicide supérieur et raisonné »
Critiques
« Je n’oserai dire qu’un tel sujet convienne au théâtre. Un dialogue philosophique n’est pas une pièce. M. Camus en a tiré cependant tout ce qui en était possible. Certaines scènes atteignent à une véritable grandeur et le style sauve celles qui manquent de puissance dramatique. »
Jean Lauxerrois - Le Pays 29/9/1945
« On sent dans cette œuvre plus de promesses que de mûrissement, plus de velléité que d’action valable, plus d’intentions que de prolongements. Il n’est pas question de contester le talent d’écrivain de M. Camus. Son style est clair, alerte, vivant, il sait avec simplicité mettre l’abstraction à la potée du commun. Il semble seulement que M. Camus n’ait pas écrit la pièce qu’il s’était promis d’écrire. »
Jacques Berland - Le Front National 3/ 10/ 1945
« Une de ces pièces qu’il faudrait avoir lue avant. Alors on pourrait tout comprendre, ne rien laisser échapper. À la première audition, au contraire, trois quart de ce texte, trop dense, surchargé d’idées, passent à travers les trous d’une passoire. Le bon théâtre est, doit être, quelque chose que l’on comprend instantanément. Je suis sûr que c’est la raison pour laquelle cette pièce - par certains côtés - ne passe pas la rampe. »
Jean-Jacques Gautier - Le Figaro 27/9/1945
« Le Caligula de M. Albert Camus apporte une tentative violente de rupture et de libération. C’est le mérite essentiel d’une œuvre, d’autre part extrêmement dense et dont la matière suffirait à enrichir vingt des prétendues comédies et tragédies de notre temps. »
Paul-Aimé Touchard - Opéra 3/10/1945

Collection A.R.T.
L’ÉTAT DE SIÈGE
La pièce a été créée le
27 octobre 1948 au
Théâtre Marigny, Cie Renaud-Barrault, mise en scène de
Jean-Louis Barrault, musique de Arthur Honneger, décor de Balthus, avec Pierre Bertin, Madeleine Renaud, Pierre Brasseur, Maria Casarès, Jean-Louis Barrault, Albert Médina, etc...
Analyse
« La Peste c’est à la fois Hitler, Staline, la Bureaucratie et le Capitalisme et le Machinisme, tout ce qui nous menace, tout ce qui a déjà essayé de nous mettre la main dessus, tout ce qui nous grignote, nous asphyxie peu à peu...Quand ce fléau abominable s’attaque à une nation, il en détruit sa raison d’être. »
René Barjavel - Carrefour 3 novembre 1948
Critiques
« Qu’Albert Camus ait choisi la liberté et qu’il l’ait exprimé, nul dans la salle ni ailleurs n’y verrait un inconvénient ; l’amour d’une liberté sans précision est un sentiment généralisé. Comment il comprend cette liberté ? Camus se garde bien de le dire cette fois-ci, et la peste en uniforme ce n’est qu’Hitler après Pétain. Non pas que je doute d’Albert Camus; il le dira une autre fois.(...) Les vérités premières qu’il a exprimées dans L’État de Siège, ou bien celles sur le mur administratif, la paperasserie, par exemple, Courteline les avait fort bien montrées, et sans faire tant de foin pathétique... »
Elsa Triolet - Les Lettres Françaises 4 novembre 1948
« Le public populaire s’il pouvait fréquenter le Marigny ( c’est-à-dire le théâtre bourgeois aux places trop chères) aimerait certes ce spectacle, mais ne comprendrait rien à l’idéologie de Camus. Qu’est-ce que c’est que cette fumée ? (...) Les travailleurs ont aujourd’hui des notions bien précises sur les causes concrètes des transformations de l’Histoire (...) Il y a dans le texte de Camus une confusion certainement volontaire et, assez hypocritement amenée entre « tous les régimes d’autorité » confusion à laquelle la presse américaine ou américanisée nous a depuis longtemps habitués. Le public de Marigny ne s’y trompe pas qui applaudit au passage les satires du planisme de la révolution tchécoslovaque ( « Aujourd’hui ce sont les polices qui font les révolutions » ). Ceci dit et clairement entendu, l’effort de Barraud et de Camus pour construire un spectacle complet autour de quelques thèmes d’actualité est intéressant. Imaginez aujourd’hui même un « opéra réinventé » sur la grève des mineurs.Quel décor ! Quels textes à faire sur le thème « C.R.S + S.S » ! L’État de Siège pourrait être ce chef d’œuvre. Il n’y faudrait qu’un autre contenu et un autre public »
Roger Vailland - Action 16 novembre 1948 )
« Comme nous aimerions aimer cette pièce.Tous ces sentiments qui furent sont ou seront les nôtres.Un esprit qui semble avoir perdu tout contact avec l’humain les a traduits en bruit. Des mots abstraits, des mots-papier, des mots d’encre. Jamais, jamais, au long de ces trois actes interminables , jamais une réplique simple, humaine, un cri du coeur ou de chair, jamais un soupir de vie. »
René Barjavel - Carrefour 3 novembre 1948)
« Toute la pièce me semble animée d’un esprit libertaire qui lui donne d’admirables accents (jamais le style de Camus n’a été plus ferme, plus dur, plus éclatant dans le lyrisme) mais qui me semble plus propre à soulever les hommes contre la tyrannie qu’à créer un état de choses où la tyrannie soit impossible »
Thierry Maulnier - Le Figaro Littéraire 30 octobre 1948
« Camus a voulu faire entendre les choses les plus simples et les a dissimulées sous les voiles les plus transparents. La peste est parmi nous ; elle atteint, un peu au hasard, les habitants de notre cité. Il n’est contre elle qu’une défense : le courage ; et l’amour, quand il existe, donne du courage au courage. »
Jacques Lemarchand - Combat 29 octobre 1948
« Mauvaise pièce, confuse, déclamatoire, sans émotion. Une agitation frénétique qui fatigue sans impressionner. Rien de plus froid que ce symbolisme abstrait. »
Journal de Paul Claudel 27 octobre 1948
LES JUSTES
La pièce a été créée le
15 décembre 1959 au
Théâtre Hébertot, mise en scène de
Paul Oettly, avec Maria Casarès, Michel Bouquet, Michèle Lahaye, Serge Reggiani, Yves Brainville, Paul Oettly, Jean Pommier.
Analyse
En février 1905, à Moscou, un groupe de jeunes terroristes appartenant au parti Socialiste Révolutionnaire organise un attentat contre l’oncle du tsar. Un étudiant Kaliayef se charge de lancer la bombe sur la calèche du Grand-duc lorsque celui-ci se rendra à l’Opéra. Tout se passe comme prévu et pourtant Kaliayef n’agit pas. C’est que le Grand-duc n’est pas seul dans sa voiture, il est accompagné de ses jeunes neveux. Devant le regard des enfants, Kaliayef ne peut accomplir son geste meurtrier. Ses camarades lui donnent une seconde chance. Cette fois, il réussit son coup. Il est arrêté. Dans sa prison, il reçoit deux visites : celle de policiers qui lui promettent sa grâce s’il livre le nom de ses complices et celle de la grande duchesse qui, dans sa charité chrétienne, cherche à le convertir. Il refuse tout compromis et tout pardon et demande à être exécuté.
Critiques
« Le seul impératif humanitaire est formulé avec la simplicité des évidences naturelles : « Oui, mais... » Oui mais ? Cela signifie que la survie du Grand-duc et des deux enfants équivaut à la mort qui continue pour des milliers d’enfants russes. Ces chiffres sont depuis multipliés à l’échelle universelle. La survie de quelques milliers de Grands-ducs, opérant dans les conseils d’administration et dans les Etats-majors, implique la mort en germe et en fleur pour des milliers d’enfants. »
Jean Gandrey-Rety - Les Lettres Françaises 29 décembre 1949
« Je relis les notes que j’ai pu noter, j’en ai plus de vingt sous les yeux, toutes plus affreuses, plus morbides, plus anéantissantes les unes que les autres. On appelle les hommes qui écrivent de telles choses des maîtres à penser, je les nomme, moi, des maîtres « à se tuer », des zélateurs du suicide. Je sais, ils sont contre en principe, mais que reste-t-il de leurs disciples ? Là où de tels maîtres ont passé, l’herbe de l’espérance ne repoussera plus. Qu’adviendront donc ces jeunes gens qui ont suivi de pareilles leçons ? Des destructeurs de dogmes, des contempteurs d’idéal, des impuissants à tout tenter : « C’est tellement plus facile de mourir de ses contradictions que d’en vivre ».
Jean-Jacques Gauthier -Le Figaro 19 décembre 1949
« Comment peut-on s’imaginer qu’il suffirait de supprimer un certain nombre de personnages, incarnant l’opposition ou l’iniquité, pour faire place à un monde où règnerait la justice ? Et puis ne peut-on penser qu’à partir du moment où le crime politique est, non seulement admis, mais exigé, mais exalté, le principe se trouve déjà posé de toutes les monstruosités dont nous sommes aujourd’hui les témoins ? »
Gabriel Marcel - Les Nouvelles Littéraires. 22 décembre 1949
« Dans Les Justes, il (Camus) a essayé d’avancer l’indulgence aussi loin que possible sur la route de ceux qui, par révolte ou générosité, tuent ou oppriment.Ils ne se trouvent sous sa plume, qu’une justification, ils donnent leur vie en prenant celle d’autrui. L’argument est faible : comme si on annulait la mort par la mort. D’autres viendront qui s’autoriseront des premiers pour tuer et qui ne donneront pas leur vie. Il faut rompre, dès le départ... »
Emmanuel Mounier - L’Espoir des Désespérés Ed. du Seuil 1953
« Le problème que pose Albert Camus, dans Les Justes est celui-ci: étant donné que nous sommes en prison - là-dessus pas de doute - doit-on tuer le gardien de prison compte tenu qu’il a des enfant et que surtout l’on n’est pas sûr qu’il ne sera pas remplacé par un autre gardien . »
Jean Daniel - Caliban N°37
Réponse d’Albert Camus aux critiques
« Si cette pièce est une pièce d’espoir c’est qu’elle affirme qu’il existe une autre race d’hommes qui dans les pires ténèbres essaient de maintenir de l’intelligence et de l’équité et dont la tradition survit à la guerre et aux camps, qui, eux, ne survivront à rien. Entre la folie de ceux qui ne veulent rien que ce qui est et la déraison de ceux qui veulent tout ce qui devrait être, ceux qui veulent vraiment quelque chose, et sont décidés à en payer le prix, seront les seuls à l’obtenir. Voilà ma certitude. »
Caliban N°38 mai 1950)
REQUIEM POUR UNE NONNE
La pièce a été crée au Théâtre des Mathurins le 20 septembre 1956, mise en scène d'Albert Camus, décors de Léonor Fini, avec : Michel Auclair, Marc Cassot, Michel Maurette, Catherine Sellers, Tatiana Moukhine, François Dalou et Jacques Gripel.
Analyse
Une servante noire, illettrée, ancienne prostituée, Nancy Mannigoe, a tué la fillette de ses maîtres. Elle est arrêtée, elle plaide coupable, on la condamne à être pendue. Alors commence le drame. Il est impossible qu’elle ait accompli le crime. Elle ne fait que protéger quelqu’un. Son avocat cherche le véritable auteur du meurtre.
Critiques
« Albert Camus, qui a une certaine habitude de la gymnastique philosophico-théâtrale, a cherché à imposer un rythme décent et réfléchi à ce mélodrame de bas étage dostoïevskien, à ce mélodrame prêt à toutes les complaisances de l’intelligence abrupte. Or il fallait le chauffer à blanc, le pousser vers le lyrisme fou, le faire hurler à la lune. Il n’en a rien été. Albert Camus n’a pas voulu accepter le désordre, il a été sage comme une image ; il a organisé la pièce comme on organise une conférence sur l’univers freudien. Ce respect accable un texte qui souhaite la violence. »
Pierre Marcabru - Arts 26 septembre 1956
« Une tragédie américaine ? Certes. Encore qu’en transposant à la scène le roman de William Faulkner, Albert Camus lui ait imposé sa marque. Il est, en effet, entre eux, des affinités électives. Le même sentiment de la fatalité les anime et la grandeur de l’Homme réside à leurs yeux dans l’acceptation de son destin, quitte à entamer avec lui une lutte inutile. Avec une force singulière et une admirable sûreté, Albert Camus a ordonné le déroulement de cette tragédie »
Gustave Joly - L’Aurore 22 septembre 1956
« Quels sont les matériaux de cette tragédie moderne ? Ceux qu’Albert Camus a trouvés dans le roman de W. Faulkner sont assez disparates : roman policier, psychanalyse, évangélisme... Le miracle est que le faisceau de ces moyens dramatiques percute la scène avec une force et une unité rarement égalées »
Guy Verdot - Franc-Tireur 23 septembre 1956
« Enfin une soirée vraiment intéressante. Une œuvre d’une lecture très personnelle, une pièce significative, révélatrice d’un état d’esprit, un document littéraire, psychologique et social... »
Jean-Jacques Gautier - Le Figaro 22 septembre 1956
« Merveilleuse soirée et de cette qualité rare que seul le Théâtre peut procurer. Combien, en comparaison, l’émotion provoquée par le cinéma paraît vulgaire et son langage pauvre (...) Ce qui fait le prix de cette œuvre c’est qu’elle conserve toute sa rigueur sans renoncer à aucune de ses richesses »
Max Favalelli - Paris-Presse 22 septembre 1956

Reprise le 20 septembre 1961
en hommage à Albert Camus
décédé quinze mois auparavant
Le Malentendu était à l’affiche sous la fin de l’Occupation.
France libre Albert Camus, 22/9/1945
Le Front National est alors un organe communiste.
Carrefour, René Barjavel 3/11/1948
Slogan créé en 1948 par René Barjavel et repris lors des manifestions de mai 1968
Alors qu’en Amérique le mot Nun a deux sens: religieuse ou prostituée, Camus le traduit en français par nonne